Aller au contenu

Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

par Pascal Goñi

Chapitre 5 : LA PROTOHISTOIRE (-1800 / -52)

…..Avec l’Age du bronze (-1 800 / -700 environ) et surtout l’Age du fer (-700 / -52 environ), les noyaux de peuplement se développent et se structurent. Des lieux fortifiés sur des hauteurs, que les auteurs gréco-romains qualifieront plus tard d’oppidum ou de castrum, aménagés par des agriculteurs et des bergers, sont la première ébauche de regroupement d’habitats et par conséquent d’urbanisme.

La Protohistoire est aussi marquée par la généralisation d’un nouveau mode funéraire, la crémation, et par l’arrivée des Indo-européens qui vont bouleverser le mode de vie des populations autochtones.

Age du bronze et Age du fer

…..Les objets en bronze sont rares au Pays basque. Une seule hache avec ce métal a été retrouvée dans le Pays de Mixe, à Labastide-Villefranche. Le silex est toujours privilégié; les outils n’ont guère varié depuis le Néolithique et sont difficiles à dater. Le début de la Protohistoire est très mal connu. Il semblerait que la population, après avoir augmenté au Néolithique et à l’Age du cuivre, ait nettement diminuée au début de l’Age du bronze sur toute l’Aquitaine. Les sites au Pays basque Nord sont en effet très rares et même inexistants dans le Pays de Cize. Puis, le peuplement semble reprendre au Bronze moyen si l’on se fie aux rares documents osseux et aux habitats.

.

.

….Le silex ne sera vraiment détrôné qu’à l’Age du fer. Ce métal mettra du temps à s’imposer avant de marquer durablement le Pays basque.

Épée de l’Age du fer exposée à Pampelune (Coll. Ikuska)

.

.

.

Un nouveau mode funéraire: la crémation

…..L’Age du fer impose une autre rupture majeure: la généralisation de la crémation. Celle-ci s’impose dans de nouveaux monuments funéraires.

…..Le cromlech est un cercle de pierres ou plus souvent de dalles (en calcaire ou en quartzite local), parfois enfoncées verticalement dans le sol, parfois simplement saillantes et non plantées (et ne dépassant jamais un mètre), qui délimitent une surface plane décapée par les Hommes. Le tracé est parfois ovale et peut être interrompu. Il peut être associé à un tumulus (tumulus-cromlech). Quelle est sa signification? Maintient-il simplement la terre du tumulus ou détermine-t-il un sol sacré en protégeant les vivants de l’influence néfaste des morts? Les restes humains calcinés (toujours des adultes) sont exceptionnels, au mieux une poignée ou deux de cendres au centre du monument, qui semble suffire à représenter le défunt. Ce dépôt peut être recouvert par un dôme pierreux, mais il peut être aussi composé à l’intérieur d’un petit caisson constitué de 4 petites dalles et d’un couvercle en lauze. Les poteries et les objets en métal retrouvés sont très rares. On suppose que ces objets fragiles ou lourds étaient peu transportés en montagne, que le rituel d’incinération n’en exigeait pas obligatoirement, ou que ces pasteurs étaient trop pauvres pour se séparer d’objets de valeur. Le mobilier pauvre s’expliquerait aussi par le rôle destructeur du feu. Quelques objets en silex ont encore été retrouvés (lames, grattoirs), mais le cromlech d’Errozate (Esterençuby-Lecumberry) contient un javelot et une lame de fer. Nous sommes loin des dépôts riches et abondants du Béarn ou de la Haute-Garonne. Des fouilles clandestines ont pourtant saccagé ces modestes monuments à la recherche de bien illusoires trésors.

…..Ces cercles de pierre abondent sur les Pyrénées jusqu’en Andorre et ont perduré jusqu’à la romanisation. Au Pays basque, on les appelle baratze, mot signifiant « jardin », terme qui a une connotation funéraire, puisque l’on a longtemps enterré des enfants non baptisés dans cet espace clos. Le mot est donc associé aux nécropoles préhistoriques. Plus spectaculaire par son agencement que par la taille des pierres, le baratze ne dépasse pas généralement un diamètre de 5 à 6 m. Selon Jacques Blot, le Pays basque compterait 216 cromlechs. La Basse-Navarre est la province basque la plus riche avec 66% du total, le Labourd 28%, la Soule 6%.

Les tumulus simples n’ont pas de cercles de pierres. Ils sont constitués d’un amas de pierres en forme de coupole pouvant s’élever jusqu’à 80 centimètres de hauteur. Ici aussi, les dépôts calcinés sont très rares.

…..Cromlechs, tumulus-cromlechs et tumulus simples ne sont en fait que des variantes d’une même idée funéraire relevant du rite d’incinération apparu à l’Age du bronze. Contrairement aux dolmens souvent isolés, ceux-ci sont souvent regroupés en nécropoles. Ces trois éléments funéraires sont situés en général sur une position grandiose ou à proximité de pistes pastorales. L’altitude est généralement plus élevée que pour les dolmens, surtout pour les cromlechs. Contrairement aux dolmens, ces monuments ne sont pas réutilisés. A noter qu’il existe des cas d’inhumation dans certains tumulus. La question des pratiques funéraires est donc très complexe.

…..Les corps sont donc désormais brûlés. Ils étaient incinérés probablement ailleurs, car les fragments de terre rougies par le feu sont très peu nombreux sur place. Plus que des sépultures, ces monuments sont pour Jacques Blot plutôt des cénotaphes («tombeau vide» en grec), car les dépôts de charbon de bois et d’ossements calcinés sont si modiques qu’ils sont probablement symboliques. Il est probable que des chants et des danses accompagnaient ce rituel. L’archéologue Xavier Peñalver pense que ce rituel funéraire montagnard était spécifique et différent de celui des peuples du piémont ou de l’Ebre qui partageaient une autre culture. Jacques Blot va dans le même sens en répétant souvent que la montagne basque est un conservatoire.

…..Le rite d’inhumation restera quasiment immuable tout au long du Ier millénaire avant notre ère. L’aspect matériel de la mort compte moins dans l’incinération. Les Hommes de la Protohistoire n’avaient plus le désir d’une sépulture monumentale et durable. Tout devient symbolique et le cercle représente peut-être une aire rituelle sacrée où l’offrande même modeste revêt une signification très précise qui nous échappe totalement. Ainsi, les poteries retrouvées sont mystérieusement brisées. Les styles de monuments peuvent être très différents même à l’intérieur d’une même nécropole et d’une même époque (cas des 32 monuments d’Okabe, dans le massif d’Iraty, à 1382 m). Les constructions similaires sont cependant souvent regroupées, même si elles ne sont pas de la même époque. Ce phénomène se remarque aussi dans la nécropole d’Apatesaro, à Lecumberry. Certaines constructions semblent être mises à l’écart comme pour faire respecter une certaine hiérarchie entre les défunts.

La nécropole d’Okabe (Photo Pierre-Louis Etchegoin)

…..Ces monuments sont l’expression de sociétés de pasteurs hiérarchisées trouvant leur place dans les espaces funéraires de la Protohistoire comme plus tard dans les cimetières chrétiens presque jusqu’à nos jours. Ces rites se poursuivront après la Préhistoire jusqu’au Moyen-Age, voire au XVIIème siècle, mais les vestiges sont alors mal construits et peu visibles.

Les vestiges non funéraires

…..Le menhir est un mégalithe composé d’un seul bloc de pierre brut ou grossièrement aménagé, fiché verticalement dans le sol. Il est rare chez nous, bien que l’Europe atlantique en compte beaucoup de la Péninsule ibérique à l’Irlande.

…..Le choix se porte sur une pierre ayant déjà approximativement la forme souhaitée. Seules quelques retouches seront nécessaires ensuite pour lui donner son aspect définitif. Ces grandes pierres sont souvent en altitude, sur des lignes de crêtes (Iparla, les Aldudes), à flanc de pente, mais toujours à proximité des pistes pastorales et des points d’eau. Ils sont proches géographiquement des cromlechs et des tumulus, mais loin des dolmens. Les objets découverts à proximité sont rares (lames, grattoirs, fragments de silex). Les menhirs avaient peut-être une signification phallique, un rôle d’indicateur de sépultures, de repère astronomique pour étudier les solstices et les équinoxes, ou un rôle cultuel. Au Pays basque, ils peuvent être tout simplement des bornes pastorales. Le mot «muga» signifie d’ailleurs en basque autant le menhir que la borne. La plus grande densité de ces monolithes se trouve dans la région des Aldudes près de l’actuelle frontière. Ils servent parfois encore de bornes-frontières. Ils ont été érigés sans doute au premier millénaire avant notre ère, mais il n’est pas exclu que certains soient d’époque romaine.

…..Les cercles de pierre ne contiennent pas de trace d’incinération. Le mobilier est très pauvre (galet, verre au pied du Leizar Atheca), en aucune façon funéraire. Le cercle de Leizar Atheca (sur le route menant à Roncevaux) est remarquable avec ses 17 mètres de diamètre (aucun cromlech ne dépasse 10 mètres au Pays Basque). Comme le «téménos» grec, il peut sacraliser un emplacement, mais les pierres sont très réduites, parfois enfouies. Il s’agit sans doute donc d’un lieu de réunion politique ou religieux à proximité de cette importante voie de passage et de transhumance. Les bergers des deux versants ont pu s’y réunir. Le dispositif, taille mise à part, est de facture identique aux cromlechs avec un même concept de circonférence dont la symbolique doit être primordiale.

…..Enfin, les tertres d’habitat sont situés en altitude entre 800 et 1500 m près des points d’eau, des pâturages et des actuels bordes et cayolars. La forme est ovale en Basse-Navarre, arrondie en Soule. Ils sont généralement construits en terre par groupes de 5, 6 ou 7, voire plus. La hauteur dépasse rarement un mètre. Il servaient de pilotis pour d’éventuelles constructions de branchages ou en torchis et pour se mettre à l’abri du ruissellement des eaux. Le terrain choisi était d’ailleurs toujours en pente pour favoriser l’écoulement. Les constructions en question étaient sans doute sommaires et refaits chaque année au gré de la transhumance. Les tertres sont très rares en plaine.

Une urbanisation balbutiante

En Basse-Navarre, la structure urbaine fait défaut. On a encore retrouvé pour cette période des haches polies et de la céramique dans la grotte d’Isturitz. La découverte d’un polissoir au pic des Escaliers (entre les Arbailles et Iraty), qui servit probablement à affûter une hache en pierre polie au Ier millénaire avant notre ère, prouve que les pasteurs basques utilisèrent longtemps un outillage lithique peu élaboré, dont l’usage dut être restreint étant donné la rareté (et le poids) de cet instrument. Les outils en métaux restèrent longtemps l’apanage des classes privilégiées et exogènes.

Les mouvements migratoires

Le premier Age du fer (-700 / -500) est aussi une période de généralisation d’innovations techniques introduites, semble-t-il, par les migrations indo-européennes (phase hallstatienne) telles le fer, la charrue ou la roue. Le fer va proliférer partout à la fin de cette période jusqu’aux panoplies guerrières, aux fers des chevaux et des bœufs. Ibères et Celtes ont envahi le Pays basque respectivement par le sud et le nord, les mouvements migratoires celtes ayant été plus importants. Il ne s’agit pas dans ce dernier cas d’une invasion militaire, mais de déplacements de populations entières, diverses, mais apparentées, venues d’Europe centrale en quête de terres pour améliorer leurs conditions de vie. Cette première vague s’interrompt au moment d’une courte, mais intense chute des températures (Vème siècle avant notre ère). Cette aristocratie d’envahisseurs sera finalement assimilée par l’ethnie aquitano-basque.

Les sites en Amikuze (Pays de Mixe) sont curieusement très rares pour cette période. Il ne reste que des camps parfois spectaculaires (les 10 hectares de Beguios, Béhasque). Ces lieux fortifiés, établis en hauteur, que les auteurs gréco-romains qualifieront plus tard d’oppidum et de castrum, étaient probablement habités la plupart du temps par des bergers et des agriculteurs. Ce sont d’ailleurs les seuls vestiges d’habitat pour la période protohistorique. Ils avaient peut-être aussi une fonction rituelle. Aujourd’hui, nous les nommons improprement « camps de César » ou gaztelu, gazteluzahar (« vieux château » en basque). Il en existe deux catégories, les enceintes à parapets et les enceintes à gradins. Les premières sont entourées par un fossé dont les déblais ont servi à ériger au-dessus. La hauteur peut être importante pour les parapets de terre (jusqu’à 20 m), moins pour ceux qui sont en pierre (4 m au plus généralement). Les enceintes à gradins, très caractéristiques du Pays basque, se distinguent par des entailles dans les flancs de montagne dont les déblais sont rejetés vers l’aval. Certaines enceintes combinent ces deux modèles. Ces constructions nécessitaient une main d’œuvre nombreuse, disciplinée. Ils témoignent d’une certaine ingéniosité et d’un sens tactique. Ils sont situés entre 300 et 1000 mètres d’altitude, et permettaient le contrôle militaire des voies de communication entre vallées. Des petits camps fortifiés (peut-être Gazteluzahar, à Larceveau) avaient été établis pour résister à l’invasion des Cimbres (-104) avant que le romain Marius ne les anéantisse trois ans plus tard à Verceil.

 

.

.

.

.

.

.

.

.

.

.

Fig 1 – 2 – 3 Dessins Général Gaudeul (Bulletin SSLAB N°137-138 Années 1981-1982)

.

.

……Une soixantaine d’enceintes ont été relevées au Pays Basque par le général Gaudeul (1911-2003). Les enceintes à gradins représentent 25% du total, les parapets de terre (56%), les parapets de pierre (15%). Géographiquement, le Labourd en représente 24%, la Basse-Navarre 45%, la Soule 30%. La superficie varie de quelques centaines de mètres carrés (St-Martin-d’Arrossa) à plusieurs hectares (Beguios, Lantabat, Iholdy), rarement plus de 3 hectares. L’altitude monte jusqu’à 1 085 m (Zerkupe à St-Michel), la moyenne se situant entre 200 et 700 m. Le plan des enceintes est variable et adapté bien entendu au terrain. Celui de Gazteluzahar (Larceveau-Lantabat) est le plus complexe avec 7 lignes de gradins. Ce dispositif est tout à fait comparable à ceux des châteaux féodaux (basse-cour, chemin de ronde…). La rareté des objets retrouvés ne semblent pas indiquer une occupation permanente de ces sites. Ils ont pu constituer un refuge temporaire en cas d’attaque. La datation est problématique en raison de la disparition des matières organiques (peaux de bêtes, récipients en bois) et de l’importante superficie à décaper par rapport à un cromlech par exemple. Contrairement aux grottes ou aux dolmens pourtant plus anciens, la tradition populaire est généralement curieusement muette par rapport à ces ouvrages. Le rempart supérieur de Gazteluzahar aurait été occupé selon les archéologues entre le IIème siècle avant notre ère et le IVème siècle de notre ère, pas avant. Par contre, Zerkupe abritait une pointe de javelot, une plaque de fer, des clous de fer forgé et des céramiques qui semblent s’échelonner entre le XIXème et le XVIème siècles avant notre ère. On y a même retrouvé un outillage en silex (un couteau notamment) de la fin du Néolithique. Mais il n’est pas exclu que certaines enceintes soient aussi d’époque pré-féodale (époque des invasions des V et VIème siècles). Il est très probable que ces constructions impliquent une organisation sociale très hiérarchisée avec une autorité forte, une main d’oeuvre nombreuse et une volonté de résister à ces invasions. Mais on ne peut pas non plus exclure l’hypothèse que certains de ces ouvrages auraient été édifiés par les envahisseurs indo-européens pour assurer leur domination et surveiller la population autochtone, ni celle d’un contexte de rivalités de voisinage.

La question épineuse de l’origine de la langue basque

……Selon Luigi Luca Cavalli-Sforza (1922-2018), le «père fondateur» de la génétique des populations, il existerait 4 peuples à part en Europe: les Lapons, les Islandais, les Sardes et les Basques. Les langues des trois premiers ont une origine connue, pas celle des derniers. Ceux-ci ont pourtant fait l’objet d’études innombrables de la part de chercheurs en anthropologie, en biologie humaine ou en linguistique depuis plus d’un siècle. Un grand nombre d’hypothèses des plus sérieuses aux plus farfelues ont donné des résultats qui confirment l’enracinement des Basques sur leur terre actuelle depuis la Préhistoire. Le problème est de savoir si la langue basque est issue de celle parlée par les Européens du Paléolithique, ou si elle est arrivée en Europe depuis le Levant au Néolithique.

……Une première hypothèse postule que la langue basque est une langue patriarche, présente dès les premiers Homo sapiens. Selon l’archéologue Pavel Dolukhanov (1937-2009), il y a -18 000 ans, lors du dernier maximum glaciaire, des Hommes ont trouvé refuge dans les zones au climat le plus doux: les plaines de Russie centrale et d’Ukraine et la zone pyrénéo-cantabrique principalement. Dès -16 000, le climat commença à se réchauffer, et selon cette hypothèse, cette période aurait correspondu au début de l’expansion de « Proto-Basques » qui correspondrait à la diffusion de la culture magdalénienne à travers l’Europe dépeuplée. Cette hypothèse (qui date de 2000) s’appuie en partie sur des travaux linguistiques.

……Theo Vennemann (né en 1937, Université de Munich) et Elisabeth Hamel, une journaliste scientifique, conclurent, en 2002, en une langue ancestrale de la famille du basque qui constituerait le substrat des langues européennes actuelles. Ils affirment que cela est attesté par divers mots traditionnellement considérés comme faisant partie des langues indo-européennes. L’idée principale de cette thèse est que de nombreux noms de sites, de cours d’eau, de montagnes, de vallées d’Europe trouveraient leur origine dans des langues pré-indoeuropéennes, en particulier le basque. T. Venneman ajoute: «Il n’est pas exagéré de dire que nous, les Européens, sommes tous Basques». Il tenta d’imposer le concept de «vascon» pour désigner ce proto-basque. Celui-ci pourrait se lire dans le préfixe eber (Ebre, Ebro, Iber en latin) que l’on retrouve dans l’ibar basque (Ibarolle). L’hypothèse de T. Venneman fut très critiquée par les bascologues (Larry Trask conclut que T. Vennemann a identifié une langue sans rapport avec le basque, qui serait simplement de l’indo-européen) et réfutée par beaucoup de linguistes qui n’y voit que des éléments indo-européens. Le linguiste allemand aurait utilisé des racines basques modernes qui ne correspondent pas au basque archaïque.

……Faute d’arguments linguistiques probants, cette première hypothèse se base surtout sur des arguments génétiques. En 2002, Peter Forster (né en 1967) étudia l’ADN mitochondrial (transmis de la mère à la fille) qu’il nomma ADN Vascon pour conclure qu’il serait apparu il y a -15 000 ans et se serait dispersé pendant le réchauffement climatique. Ce scientifique affirme que près de 75% des Européens d’aujourd’hui descendraient des Basques préhistoriques. Le lien génétique des Européens du Paléolithique avec la population basque actuelle est curieusement plus fort dans les Balkans ou en Europe du Nord. Génétiquement, les Basques ont en effet quelques spécificités, mais celles-ci restent faibles dans l’environnement ouest-européen, et sont sans doute plutôt liées à leur isolement. Ainsi, une étude fondée sur le chromosome Y apparente génétiquement les Basques aux Celtes gallois et irlandais. Tous les êtres humains sont semblables à 99,5 % au niveau génétique, on parlera donc de variabilité génétique des Basques sur 0,5 % des gènes, ce qui remet bien des choses en place.

……La seconde hypothèse semblent attester de la présence, dans la langue basque, d’une influence importante du courant méditerranéen, issu des premiers agriculteurs-éleveurs de brebis des régions montagneuses de l’Anatolie. La Navarre, faite en partie de grandes plaines accessibles aux populations méditerranéennes, se caractérise par une génétique moins typique que dans les régions montagneuses.

……Un autre indice confortant la thèse du Néolithique est que tout le cheptel animal (excepté la volaille) est aujourd’hui composé de noms différents de l’indo-européen, donc les Basques auraient domestiqué les bêtes avant l’arrivée des peuplades venues d’Asie. L’abbé Barandiaran, le «patriarche de la culture basque», défendit l’hypothèse de l’origine néolithique du basque en présentant une étude étymologique des instruments agricoles. Aitzkora («la hache»), aitzbur («la bêche ou la houe»), aizto («couteau») seraient forgés à partir de la racine aitz («pierre»). Ces instruments, propres à la période néolithique, étaient en effet en pierre, tandis qu’à partir du chalcolithique, ils commencent à être fabriqués en métal (d’abord en cuivre, et ensuite en plus grande quantité en bronze et fer) bien que certains auteurs, comme le linguiste Luis Michelena (1915-1987), indiquent que ces mots seraient voisins du latin asciola qui veut dire «hachette». Les mots urraida («cuivre»), forgé à partir de orre («or») et aide («semblable»), zirraida («étain») forgé à partir de zilhar («argent») et aide utilisent aussi des racines antérieures à l’âge des métaux. De même, le mot arto (maïs, millet avant son arrivée au Pays basque) aurait pour racine (h)artu qui signifie «cueillir». Il s’agirait donc littéralement de «ce qui se cueille», indiquant là une époque où on ne procédait pas encore à la récolte. Mais ici aussi un lien est possible avec le grec artos qui désigne le pain. Ces mots archaïques renvoient peut-être à plusieurs millénaires en arrière.

……La troisième hypothèse repose sur des similitudes entre le basque et les langues caucasiennes, particulièrement le géorgien. La théorie caucasienne s’est développée dès le XIXe siècle et pendant tout le XXe siècle. Georges Dumézil (1898-1986) recense une douzaine de noms communs d’animaux et une demi-douzaine de noms de plantes. D’autres auteurs font le rapprochement entre herri (pays en basque) et er-i (peuple, nation en géorgien), ibar (vallée en basque) et bar-i (vallée en géorgien), lodi (gros en basque) et lod-i (grosse pierre en géorgien). Le parallélisme des systèmes de numération (vigésimaux), la façon identique d’exprimer le réfléchi sont d’autres convergences notables. La proximité linguistique entre le basque et les langues caucasiennes a été combattue par certains linguistes, tel Larry Trask (1944-2004) qui défendait la première thèse, celle d’un isolat linguistique de la langue basque, qui compte encore de nombreux adeptes.

……La quatrième hypothèse est soutenue par Michel Morvan (né en 1948), un comparatiste bascologue. Celui-ci présente la langue basque comme s’inscrivant dans une super-famille linguistique qui se serait étendue sur la quasi-totalité de l’Eurasie bien avant la vague indo-européenne. Sans nier les rapprochements entre le basque et le caucasien, il envisage aussi des rapprochements avec l’ouralien, mais poursuit sa recherche sans exclusive jusqu’en Inde dravidienne (sud) ou même sur le continent américain. Le basque guti (peu, petit) se rapproche du dravidien guti et de l’austronésien guti ; le basco/aquitain gaba « gave » se rapproche du caucasien qav (ravin), du dravidien kavi (vallée encaissée), du japonais kawa/gawa (rivière). Bihi = «grain» a été repéré en dravidien et jusqu’en austronésien (indonésien) sous la forme binhi qui correspondrait au proto-basque binh. Mais rien n’est confirmé scientifiquement à ce jour sur ces parentés éloignées.

……La cinquième hypothèse, indo-européenne, est défendue uniquement par Eñaut Etxamendi qui dans sa thèse soutenue en 2007 et son livre publié en 2018, L’origine de la langue basque, s’éloigne des schémas de pensée habituels. Il prétend être le seul à avoir vraiment comparé la langue basque avec des langues indo-européennes. Selon lui, il y aurait une importante proximité de l’euskara avec beaucoup de langues indo-européennes très anciennes et souvent très lointaines du Pays basque telles que le grec ancien, l’arménien, ou le sanskrit. Or, il n’est pas connu à ce jour d’émigration de ces pays lointains vers le Pays basque. Ses travaux analysent environ 4 000 mots et soulignent le nombre considérable de termes similaires (tant pour la phonie que pour le sens) avec des termes d’origine indo-européenne. Ce constat ne peut pas résulter, selon lui, du seul emprunt du basque aux langues environnantes. Il pense comme Barandiaran que le basque pourrait remonter au Néolithique.

……La sixième hypothèse, nigéro-congolaise, est soutenu depuis 2013 par l’enseignant espagnol Jaime Martin qui tend à soutenir que le basque s’apparente au dogon, une langue parlée actuellement au Mali. Il aurait comparé pendant 12 ans le basque et cette langue, tant au niveau de la structure que du vocabulaire en analysant plus de 2000 mots et en observant des ressemblances parmi 70% d’entre eux. L’Académie de la langue basque a vivement critiqué cette thèse qui n’aurait selon elle «ni queue ni tête».

……Indépendamment de l’exactitude de telle ou telle théorie, on peut affirmer sans trop prendre de risques que l’euskara est une des langues les plus anciennes d’Europe et que l’aire basque actuelle n’est qu’un confetti d’une zone qui aurait englobé le sud de l’Europe et qui se serait peut-être étendue jusqu’en Afrique saharienne, des régions qui ont comme parenté avec le basque une grammaire agglutinante. Cette poche sera abandonnée à l’Age du fer avec les invasions celtibères pour se repositionner entre la Garonne et l’Ebre, régions qu’elle occupait au moment de l’arrivée des légions romaines.

Pour aller plus loin :

  • Frédéric Bauduer, Génétique et histoire ancienne du peuple basque: quoi de neuf ?, Bulletin du Musée basque, 2ème semestre 2013, pp. 95-102.
  • Jacques Blot, Bilan de vingt années de recherches préhistoriques en Pays basque de France, Hommage au Musée basque, 1989, pp. 30-70.
  • Jacques Blot, Contribution à l’étude des cercles de pierres en Pays basque de France, Bulletin de la Société préhistorique française, 1995, Tome 92, n°4, pp. 525-548.
  • Francis Gaudeul, Enceintes protohistoriques du Pays basque français, Hommage au Musée basque, 1989, p 71-87.
  • Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, p 34-42.