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Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

par Pascal Goñi

Chapitre 10 LA NAISSANCE DU CHRISTIANISME

…..La christianisation du Pays basque fut autrefois une question très polémique. Certains auteurs s’offusquaient que l’on cherche à minimiser l’apport du christianisme ou à retarder la date de son expansion. Le débat avait surgi dès 1935 lorsque Garcia Villada, dans son discours d’entrée à l’Académie d’Histoire à Madrid, affirma que l’hypothèse de Saint Saturnin (Saint Sernin), le premier évêque de Toulouse (martyrisé sous l’empereur Dèce en 250) évangélisant le territoire vascon ne reposait sur aucune base solide.

Il s’agissait alors d’en découdre avec une historiographie apologétique traditionnelle reprise par le nationalisme basque naissant. Ainsi, lors du premier congrès d’Eusko Ikaskuntza tenu en 1918, Eugenio Urroz présentait une communication sur l’histoire religieuse où il mettait en évidence les caractères spécifiques de l’attitude religieuse des Basques dès la Protohistoire. Barandiaran, lui-même, voyait dans cette période «un humanisme basque constitué de racines indigènes dans le déclin, revitalisé et même enrichi par le christianisme».

LA SITUATION AU IVème SIÈCLE

…..Les textes historiques

…..Les sources historiques nous apprennent qu’en 306 Januarius, évêque de Calahorra Fibularia assista au concile d’Elvira, près de Grenade. On ignore si cette localité désigne Loarre en Navarre ou Calahorra aux bords de l’Ebre (en dehors de la Navarre actuelle). L’existence d’un évêché suppose une communauté chrétienne organisée et donc une implantation chrétienne qui peut donc remonter à la fin du IIIème siècle.

…..En ce qui concerne la Novempopulanie, nous savons que Mamertinus, l’évêque d’Eauze, assista au concile d’Arles en 314. Eauze était alors le chef-lieu de la province. Il est probable qu’il était le seul représentant de la Novempopulanie, sans doute son métropolitain (=qui dirige une province ecclésiastique). Le seul élément certain est que les Basques échappèrent au schisme donatiste condamné par ce concile d’Arles, car seul celui d’Eauze était hérétique. De toute façon, avant cette date les Églises de Gaule restent dans la pénombre de l’Histoire. On peut cependant supposer à la lumière de quelques fouilles qu’il devait exister un culte chrétien à Aire-sur-l’Adour et à St-Bertrand-de-Comminges au début du IVème siècle.

…..La situation au IVème siècle et a fortiori au IIIème siècle est particulièrement sujette à caution. Il faudrait davantage de données archéologiques pour y voir plus clair sur les premiers prédicateurs qui sillonnèrent les routes romaines entre Dax et Pampelune. L’historiographie est en effet prisonnière du «dogme navarrais» érigé en mythe qui affirme que Fermin, le premier évêque de Pampelune, fut le grand missionnaire de la capitale navarraise et des Vascons. Fêté le 7 juillet, il est avec Saint-François-Xavier, le saint patron de la Navarre. Ce Firminus, fils d’un sénateur local de Pampelune, sera converti comme son père par un prêtre nommé Honestus qui aurait baptisé au total 40 000 personnes! Mais la cité réclamait l’évêque de Toulouse Saturnin (qui est souvent confondu avec Fermin), le premier évangélisateur du Pays Basque.

Saint Fermin, représenté sur un vitrail de Roncevaux

…..Cette version traditionnelle fut pourtant mise à mal dès le XVIIème siècle par le jésuite Jean Bolland. L’historien José Maria Jimeno Jurio (1927-2002), Navarrais lui-même, établit que le culte rendu à St Fermin n’a été transmis par des chroniqueurs qu’à partir du XIème siècle ce qui laisse supposer une introduction très tardive du christianisme dans la cité navarraise. Que dire alors des campagnes des alentours? Selon toute probabilité, Saint Fermin serait plutôt le premier évêque d’Amiens (mais il serait passé par Toulouse) et aurait été tué vers 303.

…..L’œuvre de Prudence

…..Le poète chrétien et apologiste Prudence (348-vers 410), qui vécut dans les environs de Calagurris (Calahorra sur l’Ebre), célébra deux soldats chrétiens (l’armée a été un vecteur décisif de propagation du christianisme car elle gommait les frontières ethniques) nommés Emeterius et Celedonius, les premiers martyrs de la vallée de l’Ebre sous le règne de Dioclétien (284-305). Dans cet Hymne I, ce fonctionnaire issu d’une famille chrétienne dénonce la brutalité sanguinaire des Vascons dans trois vers.

«Crois-tu déjà cette gentilité des Vascons, jadis si grossière
dont la cruelle faute fit verser le sang sacré
Crois-tu que les esprits des victimes ont été restitués à Dieu?»

…..L’auteur les connaît bien en tant que voisins. Évoque-t-il ici la révolte des Bagaudes? Le terme de gentilité ne peut pas renvoyer au caractère politique et juridique du Barbare, puisque les Vascons sont sous l’autorité de Rome. Incontestablement, cette dénomination renvoie aux «gens barbara» du saltus vasconus d’Ausone qui semble s’étendre de l’Ebre à l’Aquitaine. Ausone et Prudence, l’un en Aquitaine, l’autre dans la plaine de l’Ebre, s’abritent derrière la culture classique romaine devenue chrétienne pour appréhender une violence et un mode de vie indigène spécifique qui connaît éventuellement en cette fin d’Antiquité déclinante un renouveau culturel et cultuel comme le montrent les découvertes archéologiques d’Arteka-Campaita (à Uhart-Cize).

Au total, il n’y a aucune preuve d’existence du christianisme au Pays basque pour le IVème siècle.

LA SITUATION AU Vème SIÈCLE

…..Des éléments plus décisifs existent pour cette période.

…..La vallée de l’Ebre

…..Au Vème siècle, la correspondance entre les évêques de la Tarraconaise et le pape met bien en évidence la présence de communautés chrétiennes organisées dans la vallée de l’Ebre, notamment des épitaphes incontestablement chrétiens.

…..La Novempopulanie

…..Le témoignage de Sidoine Apollinaire nous renseigne sur des évêchés à Auch, Saint-Bertrand-de-Comminges, Bazas vers 475. Dax, le plus ancien sanctuaire chrétien d’Aquitaine, ne remonte pas non plus au delà du Vème siècle, une époque donc décisive pour le développement du christianisme entre Pyrénées et Garonne. Le concile d’Agde (506) atteste de la présence des évêques d’Auch, Eauze, Dax, Lectoure, St-Bertrand-de-Comminges, Couserans, Lescar, Aire-sur-Adour, Bazas, Oloron oubliant donc l’aire basque proprement dite.

Les évêchés de la Gaule lors du concile d’Agde en 506 (Wikipedia)

…..On peut conclure sur tout ceci que des Basques se sont peut-être convertis au Vème siècle au christianisme en même temps que l’Espagne. Mais la première attestation du diocèse de Pampelune ne date que de 589 (signature des Actes du concile de Tolède). Cela ne veut pas dire cependant que l’évêché n’existait pas auparavant. Mais les Bas-Navarrais, en milieu rural, ont dû être christianisés bien plus tard.

Pour aller plus loin:

Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 114-121.

Pierre Narbaits, Le Matin basque, Guénégaud, 1975, pp. 360-376.