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Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

      par Pascal GOÑI

Chapitre 2 : LES GROTTES PRÉHISTORIQUES

Les grottes d’Isturitz et Oxocelhaya

….Le grand gisement de la Préhistoire en Basse-Navarre se situe incontestablement dans la grotte d’Isturitz dont l’intérêt est même d’envergure européenne. Cette grotte correspond au niveau supérieur d’un réseau karstique en 3 étages creusés dans la colline calcaire de Gaztelu par l’Arbéroue ; les deux autres étant Oxocelhaya, 20 mètres plus bas, remarquable pour ses concrétions de calcite, et Erberua où la rivière coule toujours.

Les trois grottes furent occupées par les Hommes sur une longue période allant au moins de 80 000 à 10 000 ans avant notre ère. L’ensemble de la colline est classée Monument historique depuis 1996.

Image Association Gaztelu

….L’Homme de Néandertal a occupé le site dès 80 000 ans, puis à nouveau il y a environ 50 000 ans (grâce à la domestication du feu?). Entre-temps, l’ours a hiberné dans ces grottes. A cette époque, la faune d’Isturitz était composée de chevaux, de cerfs, d’ours et de hyènes. A la fin du Moustérien, le renne fait son apparition signe d’un refroidissement du climat. Selon les palynologues, l’arrivée d’Homo sapiens correspond à un net refroidissement. Il n’y a que 1,7% d’arbres (noisetiers, pins) autour de la grotte, soit un environnement steppique. Au Gravettien, le cheval, l’aurochs, le renne puis le cerf constituent la faune sous un climat un peu moins froid (2,4% d’arbres). Le Solutréen voit le climat continuer à s’adoucir (3,2% d’arbres) et devenir humide avec le développement des fougères. Au Magdalénien enfin, le climat se refroidit nettement à la fin de la période (0,4% d’arbres). Le bestiaire est toujours majoritairement composé de rennes, de chevaux et d’aurochs. Ces éléments climatiques et faunistiques sont sans doute transposables à l’ensemble de la Basse-Navarre.

….La grotte d’Isturitz se présentait comme une vaste galerie de plus de 120 m de long sur une largeur atteignant 50 m, ouverte aux deux extrémités. Des effondrements successifs ont progressivement colmaté l’entrée sud-est par où pénétrait l’Arbéroue et ont très fortement réduit celle située à l’opposé. Au début du Paléolithique moyen, ce porche atteignait probablement une largeur comprise entre 15 et 20 m et une hauteur proche de 10 m. Une telle ouverture était forcément visible de loin et a pu attirer très tôt les populations préhistoriques fréquentant la vallée. Deux grands espaces occupent la grotte: la salle Saint-Martin au sud (d’environ 2 m de haut) et la Grande Salle ou salle d’Isturitz au nord (jusqu’à 15 m de haut). La salle Saint-Martin a une physionomie beaucoup moins affectée par les recherches antérieures. Outre sa surface plus petite, elle se distingue de sa voisine par une voûte beaucoup plus basse et par de très nombreuses concrétions reliant le plafond et le plancher.

….L’entrée principale de la grotte d’Isturitz était connue de longue date puisque des éléments médiévaux y ont été retrouvés. Elle fut visitée par Napoléon III et Eugénie de Montijo en 1860, ainsi que par Pierre Loti en 1893. L’entrée était distincte de celle d’aujourd’hui créée a posteriori. Les premiers objets préhistoriques (multitude d’objets en silex, os taillés représentant des animaux) ont été mis en évidence vers 1884 par deux chercheurs qui s’intéressaient à l’exploitation de phosphate à partir du guano de chauve-souris pour produire de l’engrais. Leur présentation, en 1895 à la Société savante de Borda à Dax, alerte l’archéologue et préhistorien Edouard Piette (1827-1906). L’exploitation de phosphates n’est interrompue qu’au début du XXème siècle suite à une heureuse mésentente entre les deux propriétaires. L’actuelle entrée de la grotte est ouverte en 1912, donnant sur la commune de Saint-Martin-d’Arbéroue. Une première campagne de fouilles a lieu de 1913 à 1920, menée par Emmanuel Passemard. Il mit au jour le pilier gravé de la grande salle d’Isturitz et de nombreuses couches stratigraphiques. Elle est bientôt suivie (de 1928 à 1949) par une seconde campagne dirigée par Suzanne-Raymonde (1890-1978) et René de Saint-Périer (1877-1950). Suzanne-Raymonde de Saint-Périer continuera les fouilles jusqu’en 1954, après la mort de son mari. De 1955 à 1956, l’abbé Barandiaran (1889-1991) et Georges Laplace (1918-2004) fouillent à leur tour la grotte d’Isturitz et mettent au jour de nombreux restes d’ours des cavernes. Christian Normand a repris les fouilles de la salle Saint-Martin en 2000.

….C’est en 1929 que le meunier Etchegaray découvre le réseau Oxocelhaya, ainsi que des objets et des ossements humains dans la grotte d’Isturitz. Le nom de cette seconde grotte vient d’une ferme. Elle est aussi appelée Haristoy du nom du moulin situé en contrebas de la colline. Hariztoya possède aussi un charnier d’ours des cavernes. Elle n’appartient pas au même propriétaire, d’où le grillage qui sépare malencontreusement ce sanctuaire. Isturitz et Oxocelhaya ont été classés Monuments historiques en 1953, année de l’ouverture du site au tourisme par le propriétaire de l’époque, André Darricau, et de la création d’une jonction entre les deux grottes. L’abbé Barandiaran, Pierre Boucher (1909-1997) et Georges Laplace découvrent, en 1955-56 à l’entrée de la grotte, quelques rares traces moustériennes dans la salle Esker, et les premières œuvres pariétales dans un cul-de-sac difficile d’accès. La galerie de liaison entre les deux grottes porte désormais le nom de Georges Laplace. Aucune industrie n’y a été retrouvée. Oxocelhaya est une grotte-sanctuaire typique. Les dimensions grandioses, le jeu des couleurs des stalactites, les draperies d’une blancheur pure, les piliers massifs, tout impressionne dans ce lieu.

….La grotte d’Erberua fut découverte en 1973 par Jean-Daniel Larribau. A vrai dire, l’existence de la grotte était présumée depuis longtemps. Mais deux siphons situés à chaque extrémité ont longtemps fait obstacle à l’exploration de la grotte. Ici aussi, les prédateurs et les félins sont sous-représentés par rapport aux herbivores. L’époque est le Magdalénien. Cependant, ne possédant pas toujours une structure graphique, les représentations sont parfois d’interprétation difficile. Certaines peintures sont mal conservées (couleur délavée) à cause des variations de températures, des concrétions et d’un ruissellement important des parois. Le sol jonché de silex et d’os fossilisés prouvent que ce lieu fut habité. Le site, protégé par une grille, n’est accessible qu’aux seules études scientifiques en accord avec Joëlle Darricau, l’actuelle propriétaire d’Isturitz et d’Oxocelhaya.

….Isturitz est un des rares sites en Europe où se côtoient l’habitat, l’art mobilier et l’art pariétal. Car ce lieu assure une vie quotidienne plus aisée et confortable qu’ailleurs, faisant de la colline de Gaztelu un des rares sites d’agrégation de la région. Cette colline est comparable à une plaque tournante culturelle, la sphère d’échanges étant très étendue de la Dordogne aux Pyrénées Occidentales jusque dans les Cantabres dans le Nord de l’Espagne.

….Les fouilles ont permis la découverte d’un art mobilier indéniablement original, riche et réputé avec notamment ses baguettes demi-rondes de bois de renne magnifiquement décorées, ses têtes de bison sur bois animal, ses plaquettes de grès, ses têtes de propulseurs en bois de renne, ses pendeloques, ses lames d’os. Les hachures et chevrons barbelés du type d’Isturitz se retrouvent en Dordogne, à la Madeleine, le site éponyme, ou au Mas d’Azil. L’art pariétal, bien que remarquable, est resté assez méconnu. Cette méconnaissance est à corréler avec le manque de publication des œuvres pariétales de la colline, malgré des études effectuées dès la découverte des expressions artistiques sur les parois. La salle des Phosphates détient le plus riche ensemble d’os fichés dans la paroi immédiatement à l’entrée par la salle Saint Martin. Au total, la grotte abrite plus d’une centaine de manifestations humaines sur les parois, dont plus de la moitié sont des abstractions. Parmi les sculptures et peintures pariétales, le pilier gravé d’Isturitz est le seul vraiment accessible au grand public.

Panneau A du pilier gravé de la grotte d’Isturitz (photo Association Gaztelu)

….Ce pilier se trouve dans la partie centrale de la Grande Salle d’Isturitz là où les fouilles archéologiques ont été les plus intenses durant la première moitié du XXe siècle, et où les aménagements touristiques postérieurs ont pu altérer la configuration originelle des lieux. Au pied du pilier, l’un des plus grands foyers de la grotte était alimenté par un combustible osseux permettant de créer des flammes particulièrement longues et constantes, sans dégagement de fumée favorisant ainsi la diffusion de la lumière sur toutes les surfaces environnantes. La lumière du jour devait aussi éclairer le pilier d’Isturitz avant la fermeture de l’entrée de la Grande Salle. Il s’agit d’un pilier de calcite active. Le panneau le plus accessible comporte 5 représentations figuratives : un oiseau indéterminé, une biche sans tête, un renne (qui occupe presque la totalité du champ), un cervidé sans tête, un saumon. D’autres panneaux contiennent des représentations d’animaux moins abouties. Le panneau B (à droite sur la partie inférieure du pilier) comprend des contours qui sont de simples esquisses par piquetage, non suivies de gravure. Sont représentés un glouton, un cervidé ou un capriné sans tête, un cheval sans tête aussi, deux aurochs sans cornes. Le glouton est très endommagé par les tirs d’explosifs lors de la création de l’accès à Oxocelhaya. Le fait qu’il s’agisse de la seule représentation de carnassier peut-être représenté blessé, alors que les représentations de cet animal sont presque inexistantes dans l’art pariétal, donne une grande importance à cette représentation pourtant massive et peu détaillée. Le panneau C se trouve à droite dans la partie supérieure du pilier. La première figure est un grand avant-train, appartenant éventuellement à un bovidé. Superposé à cette figure, un avant-train, peut-être d’un grand aurochs a été représenté avec une tête qui permet l’identification de l’animal malgré l’absence des cornes. Il s’agit aussi d’une figure uniquement amorcée par piquetage des contours. Dans la partie inférieure du panneau, un cheval a été représenté également fragmentaire et inachevé. Superposé à l’arrière-train de ce dernier, on peut voir une petite tête d’oiseau gravée. Le panneau D se trouve à droite dans la partie inférieure du pilier. Il est formé uniquement par une figure, une tête de faon orientée vers la droite. La figure est aussi amorcée par piquetage des contours.

….Le bestiaire d’Isturitz, avec une majorité de cervidés, contraste avec les gisements du Périgord, où les bisons, les chevaux et les bouquetins sont prédominants. La comparaison avec les plaquettes gravées du site suggère une datation du Magdalénien moyen. Cependant, la contemporanéité des œuvres n’est pas attestée.

….Mais la grotte d’Isturitz est célèbre avant tout pour le fait qu’on y a découvert une série importante de flûtes préhistoriques datant de l’Aurignacien ancien au Magdalénien, soit environ de 35 000 à 10 000 ans avant notre ère. Elles figurent parmi les plus anciennes d’Europe après celles de Hohle Fels (Jura Souabe). Isturitz a dévoilé 22 fragments de flûtes au total, sans doute la série la plus importante au monde connue à ce jour. Les dimensions des os évoquent des oiseaux adultes de grande taille, appartenant à la famille des rapaces diurnes (aigle royal, gypaète barbu, vautour fauve, vautour moine). Le nombre de trous est le plus souvent de deux, mais varie de un à quatre. L’exemplaire retrouvé complet en possède quatre, mais il n’est pas impossible que leur nombre ait pu être supérieur. Le décor est toujours d’ordre géométrique. Il n’est pas certain pour les spécialistes qu’il y ait eu au niveau de l’embouchure, un bec, une anche ou un bloc en matière organique (bois, os) ou minérale (argile). Ces flûtes pouvaient être utilisées de manière droite, à la façon de la flûte des Andes ou oblique. L’absence de perforation latérale semble exclure l’existence des flûtes traversières. Les musiciens d’Isturitz étaient passés maîtres dans l’art de moduler les sons des plus aigus aux plus graves.

La grotte de Bourrouilla (Arancou)

….Cette grotte, moins connue, est un autre centre majeur du Magdalénien de la Basse-Navarre. Elle a été découverte en 1986 seulement. Elle correspond à un ancien réseau abandonné par l’eau à une époque certainement très ancienne. La grotte est petite avec une galerie d’une dizaine de mètres de long et 2 à 3 mètres de largeur débouchant sur une salle de 20 m2 environ. Une très importante fouille clandestine a détérioré le lieu. Plusieurs fouilles se sont succédé depuis 1987 et une grille obture l’entrée depuis. Le matériel découvert est très riche et remonte au Magdalénien. L’outillage comprend 1000 outils en silex, principalement des lamelles destinées à confectionner des pointes de sagaies. Il y aussi des milliers d’objets en os (pointes de sagaies, hameçons, aiguilles à chas, dents percées). La richesse du site est aussi exceptionnelle en art mobilier: trois saumons (rare) et une biche sont représentés sur une spatule en os poli qui est peut-être une extrémité de couteau.

….Les ossements de cheval y dominent au Magdalénien moyen avant d’être supplantés par le cerf. Les autres espèces chassées sont le bison, l’aurochs, le chevreuil, le sanglier, le castor, les oiseaux dont le harfang, le saumon. A noter que contrairement à Isturitz, le renne y est rare car celui-ci fuit la chaleur estivale et migre vers les hauteurs. Le site était, en effet, uniquement fréquenté en été comme le prouvent les arêtes de poissons retrouvées sur place. Bourrouilla était sans doute un campement d’été pour des chasseurs qui pratiquaient la pêche, la chasse des oiseaux et la cueillette (fruits, tubercules, graminées sauvages, champignons). Ils devaient passer l’hiver à Isturitz, un vaste habitat qui pouvait accueillir une nombreuse population.

La grotte d’Unikoté (Iholdy)

….Découverte en 1984 et fouillée depuis 1993, le site était une tanière de hyènes des cavernes, où des Hommes se sont cependant établis. Le Moustérien y est attesté. Des gravures ont été retrouvées sur un os long d’herbivore. Une quinzaine de vestiges osseux, restes de 5 individus, y ont été découverts. Un crâne d’Homo sapiens présente des cassures et des stries d’origine anthropiques. En 2000, les chercheurs ont découvert un autre crâne d’homme moderne dans un niveau du Paléolithique moyen, ce qui constitue un mystère.

L’abri sous roche d’Azkonzilo (Irissarry)

….Ce «trou du blaireau» en basque, découvert en 1980, est une grotte en partie effondrée qui a livré du matériau lithique du Solutréen fabriqué pour l’essentiel à partir du silex de Bidache, de la Chalosse et du cristal de roche local. L’industrie est proche de celle de la région de St-Palais. Les habitants y pratiquaient la pêche près d’un confluent du Laca descendant du Baïgura. Le lieu était aussi très propice à la chasse en raison des escarpements et d’un couloir naturel très étroit. Des pointes légères y ont été retrouvées. La région est aussi riche en ocre qui devait servir à tanner les peaux en particulier. Il est probable que ce site constituait la pointe extrême méridionale d’une occupation humaine permanente. Mais depuis le Solutréen au moins, les contacts étaient fréquents avec le versant navarrais.

Pour aller plus loin:

  • Joëlle Darricau, Grottes d’Isturitz et Oxocelhaya: une saga, Bulletin du Musée basque, Harria eta Herria, Hors série, année 2003, pp. 77-89.

  • Julia Gomez Prieto, Joëlle Darricau, Tourisme culturel et découverte de la Préhistoire basque, Elkar, 2000.

  • Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 25-26.

  • Christian Normand, «L’enracinement humain», Le Pays de Mixe, Ed. Izpegi, 1992, pp. 50-51.

  • Jean-Baptiste Orpustan, La vallée d’Ossès en Basse-Navarre, Edition Izpegi, 2002.