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Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

Par Pascal Goñi

Chapitre 9 : LE BAS-EMPIRE

…..Dès le règne de Marc-Aurèle (161-180), la crise économique et démographique avait affecté l’Empire. Les échanges avec l’Espagne si florissants durant le Haut-Empire (-27 à 235) décroissent dès lors. A la fin du IIIème siècle, les Francs et les Alamans ravagent déjà la Gaule. Au IVème siècle, un limes se fixe sur les Gaves et l’Adour pour contenir les envahisseurs.

DES INVASIONS EN NAVARRE

…..Le Pays Basque Nord fut une zone très peu sécurisée, malgré la présence de fédérés (Barbares alliés à Rome) sur la voie de Roncevaux. Ausone et Paulin de Nole en témoignent dans leur correspondance. La région fut très tôt désertée par Rome. Pampelune porte des traces archéologiques d’incendie. Les villas de Falces (Sud de la Navarre), Liedena (Est de la Navarre) et de Ramalete sont détruites. Les traces détectables de destruction datent surtout des années 275-276 en Navarre (une vague d’invasion est attestée par les sources entre 275 et 282). Ce sont surtout des sites de petite taille qui disparaissent. Il est possible que les Romains, pour pallier la faiblesse de l’État central, aient constitué des troupes dans les vallées pour contenir les envahisseurs et les communautés montagnardes peu intégrées. Les divers trésors retrouvés témoignent sans doute d’un paiement à des soldats. En tout cas, il n’y eut pas de dévastation sur une grande échelle. Seules, l’enceinte de Pampelune tomba à la fin du IIIème siècle sous les assauts des Francs, ainsi que quelques villes de Navarre septentrionale relativement importantes.

…..Les dépôts archéologiques se raréfient dans la seconde moitié du IIIème siècle, signe de récession ou de stagnation économique. Des exploitations sont abandonnées au IVème siècle en Navarre. Des individus repeuplent les grottes en liaison avec une réactivation des pâturages.Nous sommes alors très loin de la prospérité et de la douceur de vivre de la première moitié du IIème siècle.

…..A cette agitation, il faut ajouter l’éphémère Empire gaulois de Postumus (260-269), un chef de l’armée du Rhin dont l’autorité s’étendait en Gaule, en Grande-Bretagne et sur une partie de l’Hispanie. Mais son successeur Victorinus (269-271) perdit l’Espagne et cet Empire disparut en 273. Mais il sut protéger efficacement les villes par une politique d’édification de murailles.

LA RÉPONSE DU POUVOIR: LA TÉTRARCHIE

…..De 285 à 311, il y eut 4 empereurs pour faire face aux attaques sur l’Empire. C’est peut-être l’empereur Dioclétien (285-305), qui constitua la Novempopulanie, une division administrative rassemblant 9 peuples entre Garonne et Pyrénées avec un gouverneur (praeses) établi à Eauze, selon la Liste des Provinces de Vérone datée de 297. La liste des tribus ne sera donnée qu’au début du Vème siècle dans la Notitia Dignitatum (écrite sous le règne d’Honorius: 395-423). Et là, il y aura finalement 12 peuples. Les Basques ne sont toujours pas mentionnés par les Romains (seuls les Tarbelles de la Chalosse sont cités). La réforme administrative place un vicaire, le responsable du diocèse de l’Aquitaine qui compte trois provinces (la Novempopulanie est l’Aquitaine III) avec pour capitale Vienne, puis Bordeaux. Mais l’axe routier du nouveau pouvoir passait entre Trêves (la capitale choisie par l’empereur Maximien, 285-305, qui avait la charge de la partie occidentale de l’Empire), et l’Espagne via Bordeaux par la voie du littoral Oiasso-Arditurri, donc plus à l’ouest que le Vasconiae saltus ce qui fera perdre de l’importance stratégique aux passages du piémont pyrénéen.

…..Une unité légère avait cependant été spécialement équipée pour intervenir sur les cours d’eau montagnards. La fondation de Bayonne Lapurdum permit la sécurisation de la voie Bordeaux-Astorga dans les secteurs d’Hasparren, Irissarry et de St-Jean-le-Vieux. La Notitia Dignitatum recense au Vème siècle les hautes charges civiles et militaires, sans doute pour leur redonner un peu de lustre et d’efficacité face au défi de l’insécurité et de la violence. Nous savons qu’un tribun de cohorte, soit un important chef militaire, résidait à Veleia (près de Vitoria, en Alava) au IVème siècle. Il s’agissait de sécuriser la voie Bordeaux-Astorga, de pouvoir joindre Pampelune et Saragosse. Mais il n’y eut aucune troupe nouvelle, pas même d’auxiliaires. Alors que la Galice dispose d’une légion et de 4 cohortes supplémentaires, il n’y en a qu’une à Veleia (d’origine gauloise), ainsi qu’à Bayonne, la cohorte novempopulanienne. Les cohortes vardule et vasconne avaient disparu avec l’effondrement de la Bretagne (comprenez la Grande-Bretagne) en 367. Il y avait donc deux commandements séparés au Pays basque. Manifestement, la menace était faible. Il semble que le banditisme était le problème principal. Des autochtones abandonnant le pastoralisme avaient peut-être des difficultés à intégrer la vie sédentaire des bourgs. La pression démographique, des accidents climatiques pouvaient aussi aggraver le fléau du banditisme. Une inscription lapidaire, sur la route d’Oteiza à l’Ouest de la Navarre, est dédiée à un jeune homme de 20 ans « tué par des voleurs ». Ce phénomène est à mettre en relation avec le mouvement bagaude.

LA RÉVOLTE DES BAGAUDES

…..La révolte des Bagaudes est un mouvement social de protestation né en Gaule (en gaulois, le terme désignerait un groupement et serait lié à l’épisode d’une attaque contre les bagages de l’empereur Maximien en Savoie vers 286), repérable à partir de la fin du IVème siècle, qui a secoué la Bretagne, les terres entre Loire et Seine, mais également l’Aquitaine et l’Espagne sans qu’il y ait de véritable lien entre tous ces soulèvements. Le « saltus vasconum » (le Pays basque non cultivé) était agité par un mouvement de même nature, c’est-à-dire anti-fiscal, contre les confiscations et les rapines (vols). Les juges étaient aussi corrompus à cette époque là. Ou alors, des esclaves se sont soulevés en s’alliant avec le petit peuple des campagnes affamé contre les grandes exploitations des villas et des fundi (système d’exploitation des terres). Ces révoltés, dont rien ne prouve qu’ils se faisaient appeler Bagaudes, étaient très hétérogènes et combattaient essentiellement dans des zones marginales difficiles à contrôler (d’où leur présence en terre basque). Les expéditions menées contre eux échouèrent. Une source du Vème siècle évoque l’audace des Aracelli Bagaudes, soit la région d’Araki, au Sud d’Alfaro, en Navarre méridionale. Ils seront exécutés avec un évêque parmi eux, un certain Valerius.

L’APPORT DE L’ARCHÉOLOGIE

…..Les archéologues ont étudié des sites fortifiés: Arteketa-Campaitia à Uhart-Cize (à 831 m d’altitude), St-Jean-le-Vieux évidemment qui retrouve au Bas-Empire un rôle stratégique qu’il conservera tout au long du Moyen-Age. Le premier se situait tout près de la voie romaine. Ce sont les routes les plus sillonnés par les marchands et les soldats qui ont fourni la majorité des lieux de culte. L’épigraphie et la sculpture sur pierre romaines ont redonné vie à des cultes locaux anciens. On a retrouvé à Campaitia un sanctuaire dédié à Auguste (fréquenté jusqu’au Vème siècle), un autre plus rustique, près d’une source, en retrait par rapport à la route, en face d’un vaste panorama donnant sur le bassin de Cize et le levant, et un autel dédié à un ancien culte local qui réapparaît tardivement (fin du IVème-début du Vème siècle) à la suite du retour progressif de survivances autochtones. Les archéologues ont aussi retrouvé des pièces de monnaie exceptionnellement nombreuses et un dépôt d’offrande. Des outils et du matériel de harnachement ont été découverts dans un bois, telle une hipposandale abandonnée car inutilisable (pas de crochet avant), un objet très rare dans le Sud-Ouest. Le lieu était sans doute une halte consacrée à un génie topique associé peut-être à Mercure, le dieu des marchands, à Jupiter, Mars, voire Hercule, le dieu des passages difficiles souvent relié à des arbres sacrés (le hêtre généralement). L’ensemble fut fréquenté du milieu du IIIème au début du Vème siècle, puis disparut sans doute à la suite des lois de l’empereur Théodose (379-395) qui rendit obligatoire le christianisme dans l’Empire et interdit les cultes païens en 391-392. Le temple dut être détruit, mais le poste militaire a pu durer plus longtemps. On a également relevé des armes (6 haches dont 3 de petite taille sans doute votives, des fers de lance) et des parures de type germanique de la seconde moitié du IVème siècle-début du Vème. C’était en fait des soldats fédérés (des Wisigoths) qui combattaient à cet endroit pour l’Empire à un moment où les Romains ne voulaient plus combattre. Le but était de défendre la zone contre des envahisseurs ou des brigands. Arteketa a pu être un fortin chargé d’assurer la circulation routière au moment de la création de Bayonne.

…..Le matériau illustre bien l’armée post-constantinienne (après 337) avec ses boucles de ceinturon et ses fibules cruciformes (sorte d’épingles en forme de croix). Ces éléments se retrouvent aussi à Imus Pyreneus devenu avec le temps un petit bourg militaire (une fibule cruciforme aussi d’une grande qualité, des petites haches, du matériel de harnachement, un scramassax = poignard) abritant des troupes de plus en plus mobiles à partir du IIIème siècle. De cette époque (fin du IVème siècle), on a retrouvé un solidus (monnaie en or créée par Constantin) à Arnéguy.

Fibule cruciforme (Musée Carnavalet, Paris)

UN TÉMOIGNAGE LITTÉRAIRE: LA CORRESPONDANCE D’AUSONE ET PAULIN

…..Ausone a peut-être fait allusion à une résurgence du paganisme dans le « saltus vasconum » (« dans les forêts vasconnes et les neigeuses Pyrénées »), qui semble pour lui commencer dès que l’on quitte Aquae Tarbellicae (Dax) dont il était originaire (parlait-on basque là-bas?). En tout cas, depuis Bordeaux, il vit mal le voyage de son ami Paulin et considère le Pays basque (qu’il est le premier à appeler Vasconia dans une lettre de 394 à Paulin) comme un pays de voleurs (pagis latronum). Paulin, qui n’est pas encore évêque de Nole (près de Turin), était son ancien précepteur. Pour Ausone, celui-ci a un cœur pur et vit dans l’Espagne « civilisée ».

Buste d’Ausone

…..Après les Francs et les Alamans, les Vandales passèrent aussi par les Pyrénées occidentales et la vallée de l’Ebre au début du Vème siècle. Curieusement, il n’y eut pas alors de garnisons supplémentaires au Pays Basque. Sans doute parce que c’était cette fois l’ensemble de l’Empire qui était menacé. La véritable vague d’invasion commença en effet en 409 lorsque les Vandales (qui avaient franchi le Rhin gelé la nuit du 31 décembre 406 selon la légende) empruntèrent le col de Roncevaux pour la plupart d’entre eux. La voie de Cize redevint stratégique et fut un enjeu dans la lutte qui opposa l’empereur Honorius (395-423) à l’usurpateur Constantin III (407-411) et son fils Constant qui régnèrent sur la Gaule et l’Hispanie. Les éléments basques en place sur les cols paraissaient peu fiables pour le pouvoir qui préféra engager les fédérés wisigoths que nous avons aperçus tout à l’heure. Pourtant, les Basques firent parfaitement face aux invasions de 407. Mais ils ne firent preuve d’aucune combativité en automne 409. L’alliance avec les Wisigoths (le foedus qui donnera le mot fédération) date de 418, peu après la restauration du pouvoir du premier empereur d’Occident, Honorius, en 416. Ces Wisigoths ont pu participer aussi à l’édification de fortifications au moment des invasions.

Pour aller plus loin

Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 107-114.

Jean-Luc Tobie: «La présence romaine», le Pays de Cize, Edition Izpegi, 1991, pp. 77-81.

Retrouvez les chapitres précédents à la rubrique « La Basse-Navarre en Pays basque », onglet « Histoire ».