Aller au contenu

Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

par Pascal Goñi

Chapitre 6 : L’ARRIVÉE DES ROMAINS

La conquête de la Navarre

…..Les premiers renseignements sur les Vascons débutent avec la Deuxième guerre punique contre les Carthaginois (-218/-201). Tite-Live (-59/17) et Appien (I-IIème siècle) racontent la traversée au printemps -207 de la partie occidentale des Pyrénées par le général carthaginois Hasdrubal, le frère d’Hannibal, pour se rendre en Italie après la défaite de ce dernier face à Scipion l’Africain. Selon Tite-Live, 25 000 hommes et 15 éléphants traversèrent le Pays basque. Ce général réussit à enrôler des Vascons (Basques) contre Rome, ainsi que des Cantabres.

…..Le premier auteur à faire allusion aux méthodes de combat des Vascons de cette époque est Silius Italicus, un obscur poète latin (26-101), auteur d’une épopée sur la Deuxième Guerre punique, Punica: le Vascon qui combat sans casque le Cantabre est aux premiers rangs; après lui se présente le Vascon, qui combat la tête nue qu’accablaient d’une grêle de traits et le Cantabre et le Vascon léger. Ils seront finalement vaincus à la bataille du Métaure (Marches) et leur chef, Hasdrubal, sera décapité (-207).

…..Après la prise de Numance (-133), les légions romaines contrôleront entièrement la vallée de l’Ebre, conclusion des guerres puniques. C’est Pompée qui pénétra pour la première fois dans le territoire des Vascons. Il hiverna chez eux l’hiver -75/-74 et se ravitailla en blé originaire de l’Aquitaine et de la Navarre, selon Salluste. Il fonda Pompaelo en -75, cité qui porta son nom. Tite-Live est le premier à citer les Vascons (vers -29) en racontant comment le général Sertorius introduisit son armée dans le territoire de la Navarre acquis à Pompée. Cependant, il comptait aussi dans ses rangs des soldats vascons. Ce peuple fut jusque-là innommé par les sources antiques.

…..Le siège de Calagurris fut le point d’orgue macabre de cette guerre cruelle. Salluste rapporte en effet que les défenseurs vascons durent manger de la chair humaine pour survivre. L’historien moraliste Valère-Maxime (Ier siècle) s’en indigna: «Ils voulaient, en faisant échouer le siège que Pompée faisait de leur ville, montrer une fidélité invincible à la mémoire de Sertorius qui venait d’être assassiné. Aussi, comme il n’existait plus dans la ville d’autres êtres vivants, ils en vinrent à cette abomination de manger leurs femmes et leurs enfants. Afin de pouvoir nourrir plus longtemps sa chair de sa propre chair, cette jeunesse sous les armes n’hésita pas à saler les malheureux restes de ces cadavres». L’érudit Pierre Narbaits (1910-1984) ne semble pas beaucoup croire à cette histoire qui n’échappe pas aux conventions des récits de l’époque et qui se rapproche beaucoup du drame de Sagonte (-218) ou encore de Numance (-133).

…..Vainqueur, Pompée édifia un trophée de victoire à St-Bertrand-de-Comminges (Lugdunum Convenarum) en rassemblant (d’où le terme «Convenae») des Vascons et des Cantabres, survivants de l’armée sertorienne (dont le chef mourut assassiné), avant de s’en retourner à Rome cueillir son triomphe.

La conquête de l’Aquitaine

…..Parallèlement, les légions romaines investirent l’Aquitaine dès -118 à partir de la Narbonnaise déjà romaine. Plus tard, on l’a vu, Pompée transforma l’oppidum de St-Bertrand-de-Comminges en une base militaire.

…..Empêtré dans la campagne contre les Vénètes, Jules César (-100/-44) envoya en -56 un de ses meilleurs lieutenants, le jeune Publius Licinius Crassus conquérir l’Aquitaine. Il vainquit les Aquitains dans un lieu traditionnellement associé au village de Sos (dans le Lot-et-Garonne aujourd’hui). Par la suite, Crassus prit la direction du nord, mais les Aquitains reprirent les armes en allant chercher de l’aide chez les Vascons comme le suggère César beaucoup plus loquace sur cette seconde partie de la conquête dans son «Commentaire sur la Guerre des Gaules». A noter qu’il ne cite pas ce peuple qu’il ne semble pas connaître, mais qu’il évoque uniquement les Cantabres et les Aquitains. Jules César, dans son livre, donne une rapide description de l’Aquitaine et de ses habitants qu’il ne confond pas avec les Gaulois : Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne», «Tous ces peuples diffèrent entre eux par le langage, les coutumes, les lois. Cela est conforme aux indications que donnera plus tard le géographe grec d’Asie mineure Strabon (-64/23) : les populations de l’Aquitaine formant, non seulement par leur idiome, mais encore par leurs traits physiques beaucoup plus rapprochés du type ibère que du type galate [ou gaulois], un groupe complètement à part des autres peuples de la Gaule. Or, nous savons aujourd’hui qu’une aire culturelle et linguistique s’était constituée à partir du Néolithique entre la Garonne au nord et l’Ebre au sud, zone qui échappa plus tard à l’hégémonie de la culture indo-européenne. Le terme «gascon», dérivé de «vascon», désigne d’ailleurs aujourd’hui l’habitant du sud de la Garonne avec le Béarnais et le Basque.

…. Portrait supposé de Jules César (Musée d’Arles)

…..La seconde bataille de la guerre en Aquitaine est placée plus au sud par les historiens, vers Dax ou Aire-sur-Adour. Pourtant, la victoire n’était encore que partielle selon les dires du consul et celui-ci alla pacifier la région à la fin de l’été -51 bien qu’elle fut pratiquement la seule à n’avoir pas rejoint le célèbre soulèvement gaulois de -52 fomenté par les druides. Le texte sur cette promenade militaire menée avec deux légions seulement sur un total de onze est fort imprécis. L’historien Florus (vers 70/140), connu pour sa concision souvent obscure, donne un détail très curieux: il prétend que César aurait muré des Aquitains dans des cavernes. Pourtant, le vainqueur des Gaulois, en lutte désormais avec Pompée, va recruter dans son armée des Basques (sans les nommer) pour lutter contre son adversaire en Lusitanie et dans la région de l’Ebre. Il est à noter que les Basques sont pour la première fois dans le camp des vainqueurs après les défaites du Métaure et de Calagurris. En -39/-38, après la mort du dictateur, Agrippa, le gouverneur de la Transalpine, reçut le commandement de l’Aquitaine et dut encore intervenir militairement, et plus tard encore, le poète Tibulle célébra en vers dans ses Elégies les exploits de Corvinus Messala, un lieutenant d’Agrippa à Actium (–31), qui dirigea une nouvelle expédition en -28/-27 contre des Aquitains en fuite, et notamment des Tarbelles adossés près des Pyrénées. Ce proconsul obtint d’ailleurs un triomphe à son retour à Rome. Cela peut indiquer que le sud de l’Aquitaine a pu échapper jusque là à Rome ou peut-être s’agissait-il d’une révolte ponctuelle. L’imposante tour d’Urculu, construite au dessus du Pays de Cize, à proximité des cols d’Ibañeta et de Bentarte, commémore les victoires romaines sur ces Aquitains.

Quels peuples habitaient entre l’ Ebre et la Garonne avant l’arrivée des romains ?

…..L’apport des textes

…..On ne peut probablement pas parler d’une aire linguistique commune entre l’Ebre et la Garonne, mais il y a bien une culture spécifique dans cet espace géographique. Polybe et Tite-Live utilisent tous les deux le terme de «Celtibères». Pourtant, Silius Italicus, et la Géographica de Strabon sont très explicites sur le peuple vascon. Pline l’Ancien (Ier siècle) confirme dans son Histoire naturelle que le territoire des Vascons allait jusqu’à l’océan et au bois d’Oiasso (Irun).

…..Au nord des Pyrénées, selon Strabon «on compte plus de vingt peuples aquitains, mais tous faibles et obscurs, la plupart habitent les bords de l’Océan». Parmi eux, les Tarbelles sont simplement cités par Pline l’Ancien dans son Histoire naturelle, «les Tarbelliens». Strabon, plus disert, dit que «les Tarbelli […] ont dans leur territoire les mines d’or les plus importantes qu’il y ait en Gaule, car il suffit d’y creuser des puits d’une faible profondeur pour trouver des lames d’or, épaisses comme le poing, dont quelques-unes ont à peine besoin d’être affinées. […] Dans les plaines de l’intérieur, ainsi que dans la partie montagneuse, le sol de l’Aquitaine est de meilleure qualité, il est notamment fertile dans le voisinage du mont Pyrénées».

…..Leur principale ville est Aquae Tarbellicae, plus tard Aquae Augustae («les thermes d’Auguste», Dax). Ils s’établissaient entre la mer et les Pyrénées en dominant des peuples politiquement plus faibles à consonance basque. Parmi eux, citons les Ausci dont Strabon dit que le territoire est très fertile et qu’ils ont obtenu des Romains le droit latin, signe d’une certaine acculturation. Pomponius Mela (Ier siècle avant notre ère) rajoute dans sa Chorografia que les Ausci «tiennent le premier rang en Aquitaine» et signale un «Eliberrum», qui sonne très basque, et qui est l’actuelle ville d’Auch.

…..Pour sa part, Pline l’Ancien donne une liste très longue de peuplades aquitaines dont certaines peuvent être identifiées par leur proximité onomastique avec la toponymie actuelle : les Elusates (Eauze), les Begerri (Bigorre), les Sybillates (Souletins), les Conveni (Cominges), les Consorani (Couserans), les Ilurones (Oloron), les Oscidates (vallée d’Ossau), les Tarusates (capitale Atura, Aire-sur-Adour)….

…..Il y avait probablement entre ces nations un élément linguistique culturel, ethnique dominant et on ne peut pas exclure que des populations extérieures aient pu s’intégrer dans cet ensemble disparate. Les Tarbelles et les Vascons semblent dominer l’aire géographique entre Ebre et Garonne par l’intermédiaire probablement de clientèles et d’alliances plus ou moins volontaires. Lors du soulèvement contre Crassus (-56), César parle de députés, de serments et d’otages entre les Aquitains. Strabon, lui, évoque une confédération des peuples aquitains.

Carte des différentes tribus entre la Garonne et l’Ebre selon les auteurs romains

…..L’apport de l’épigraphie et de l’onomastique

…..Dans le domaine de l’épigraphie, c’est-à-dire l’étude des inscriptions, les historiens s’appuient toujours sur l’énorme collecte entreprise à la fin du XIXème siècle par le Haut-Garonnais Julien Sacaze (1847-1889). Ce dernier identifia quelques 468 inscriptions entre les Pyrénées et la Garonne. L’abondance de mots prélatins permet bien de conclure à une parenté linguistique et phonétique basco-aquitaine. Cela dit, on retrouve aussi des substrats ibères et celtes dans cette aire géographique. A ce sujet, l’identification qui a longtemps prévalu entre le basque et l’ibère est aujourd’hui abandonnée. Il y a eu, c’est incontestable, des échanges linguistiques, culturels, sociaux sans doute assez intenses entre ces deux cultures, mais il n’y a pas eu d’interpénétration.

…..La recherche s’appuie aussi sur la linguistique et la philologie (l’histoire des langues à travers les documents écrits). Dès 1935, Gerhard Rohlfs, se montre partisan « d’identifier l’ancienne langue aquitannique avec l’idiome parlé par les anciens Vascones ». Pour conclure sur ce sujet, il est important de souligner que malgré cette parenté linguistique, l’espace Ebre-Garonne (l’ancienne zone franco-cantabrique, est-ce un hasard?) se caractérise par sa diversité géographique, linguistique et anthropologique. Les brassages de populations se sont bien évidemment poursuivis après la Préhistoire et les migrations indo-européennes de la Protohistoire.

Pour aller plus loin :

Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules, Livre I, III, VIII.

Robert Etienne, «Les passages transpyrénéens dans l’Antiquité», En passant par l’Aquitaine, 1995, p 125-146.

Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 47-69.

Pline l’Ancien, Histoire naturelle,Livre IV.

Strabon, Geographica, Livre III et IV.