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Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

par Pascal Goñi

Chapitre 4 : LE NEOLITHIQUE (-4 500/-1 800 environ)

  …L’élevage et l’agriculture se diffusent à partir du Moyen-Orient (vers -10 000/-8 000) pour parvenir en Europe occidentale vers -5 500. L’Homme adopte alors des animaux domestiques et s’adonnent à la culture des plantes.

En même temps, des innovations techniques bouleversent son cadre de vie : la céramique et plus tard la fonte des minerais par le feu. Ces nouveaux modes de production entraînent peu à peu la sédentarisation. Les groupes humains deviennent beaucoup plus nombreux qu’à l’époque du nomadisme. L’habitat à l’air libre se développe aussi avec les nouvelles conditions climatiques. Les premiers villages s’édifient progressivement. Le Néolithique voit aussi un bouleversement de la spiritualité qui se marquera par l’érection de dolmens.

Bergers et agriculteurs

..La culture la plus ancienne du Néolithique en Navarre est toujours celle de Zatoya qui se caractérise par sa poterie (vers -4 500). Mais la chasse y reste prédominante: 75% des ossements proviennent encore des sangliers, 10% des cerfs et 10% des chevreuils. Dans la région de St-Palais, le silex reste longtemps majoritaire. Toutefois, les signes d’implantation et de développement d’une économie pastorale se multiplient à partir du IVème millénaire à Abauntz ou à Mendabia, en Navarre, où l’on a retrouvé des restes de moutons et de chèvres. Les restes de chevaux sont très rares, car probablement réservés à une élite. Le cochon et le bœuf ont pu être domestiqués à partir de prototypes sauvages indigènes. Par contre, l’introduction des ovins et des caprins, venus du Proche-Orient, a dû se faire chez nous à partir des plaines de la Meseta ou plus tard du nord des Pyrénées. La néolithisation en Basse-Navarre a été plus tardive qu’en Hegoalde peut-être parce que le climat et le biotope y étaient moins favorables.

..Le riche bestiaire de Cortés de Navarra (Navarre) peut donner une idée de cette expansion de l’économie pastorale et de l’importance respective des animaux domestiqués: 253 chèvres, 24 vaches (pour le labour?), 32 cochons, 13 moutons, 11 chevaux, 5 cerfs (la chasse subsiste), une colombe et un chien. Il n’y avait donc ni chat, ni lapin domestique, ni âne. Le site a aussi révélé une surabondance de coquillages.

…..La montagne, lieu faiblement anthropisé jusque là, limité à de rares excursions, devient peu à peu un espace habité et utilisé à partir du Néolithique moyen et surtout du Néolithique final. Peu de sites ont été fouillés jusqu’à présent (ceux-ci sont difficiles à étudier en montagne), mais le matériel lithique abondant va dans le sens du développement du pastoralisme en montagne. Il est possible que se mette en place à cette époque une transhumance régulière. Les régions les plus élevées sont finalement mises en pâturage. Quelques rares lames polies y ont été retrouvées. C’est de cette époque que date la suppression des sapins en forêt d’Iraty et leur remplacement progressif par la hêtraie la plus vaste d’Europe occidentale. Ces éleveurs ont occupé des abris-grottes et sans doute des cabanes en pierres sèches, en bois ou en torchis (mélange de paille et de terre). Certaines grottes en aval seront encore occupées jusqu’à l’Age du fer (Isturitz, Arancou).

  …Les débuts de l’agriculture (vers -3 300/-2 500) sont illustrés par de meules à grains, des serpettes et des houes en pierre polie dans un premier temps. Ces agriculteurs sont souvent parallèlement des bergers. Le paysan basque semble être né au sud de la Navarre. Cette vallée de l’Ebre fut plus marquée par l’agro-pastoralisme, car elle était géographiquement plus proche du versant méditerranéen et par conséquent du Proche-Orient d’où provenaient pratiquement toutes les innovations de cette époque. En Pays de Cize, les chercheurs ont découvert des haches polies et un fragment en quartzite au col de Gamia. Des tessons de céramique et des silex taillés ont été retrouvés à Sarrasquette. En Pays de Mixe, l’outillage en silex reste majoritaire. Des haches polies en quartzite ophite ou grès, des meules, des polissoirs attestent des progrès de l’agriculture. Les grattoirs sont aussi nombreux. Les sites sont toujours plus denses au nord de St-Palais. Les terres y étaient sans doute plus fertiles. La plupart des sites néolithiques du Pays Basque Nord sont situés dans cette région, preuve sans doute d’un essor démographique lié à la pratique de ces nouveaux modes de production. Faute d’outils céramiques qui n’ont pu être conservés dans cette vallée de la Bidouze, la chronologie y est impossible à établir.

Haches polies provenant d’un site de plein air, à Urt (Coll. Ikuska)

Les premiers dolmens

  …Autre caractéristique de la période, les premiers dolmens voient le jour à la fin du Néolithique. Ces monuments funéraires, première ébauche d’architecture, sont le signe de la volonté et de la capacité de l’Homme à bâtir des monuments avec le souci de pérennité. Ils apparaissent en Europe occidentale probablement au Portugal via Malte et se répandent sur l’ensemble du littoral atlantique sans doute en réaction au bouleversement du mode de vie du Néolithique.

  …Ces monuments funéraires d’inhumation peuvent contenir plusieurs dizaines de cadavres et être réutilisés plusieurs fois pour tous les sexes et tous les âges. Ils sont constitués de grandes dalles plantées dans le sol délimitant une chambre funéraire plus ou moins rectangulaire dont l’axe, selon la tradition atlantique, est orienté en règle général dans le sens est-ouest, la dalle côté est étant souvent absente ou moins importante. Cela permettait ensuite d’introduire d’autres corps. Le corps du défunt était enseveli ou déposé la tête vers le soleil levant. Une table recouvrait deux dalles et l’ensemble était souvent recouvert d’un monticule de terre ou de pierres appelé tumulus. Ce dernier devait servir de plan incliné pour faire glisser sur des troncs d’arbres la dalle de couverture parfois très imposante (9 tonnes à Gaxteenia, à Mendive).

…..L’édification de tels monuments a nécessité une véritable organisation sociale et l’effort de plusieurs dizaines d’hommes à travers un travail d’équipe. Une tombe collective ne signifie pas qu’elle était ouverte à tous. La société s’est hiérarchisée, c’est-à-dire que les puissants cherchent désormais à se distinguer des autres individus. Cette distinction vient sans doute de l’importance respective en troupeaux ou en terres de bonne qualité.

…..L’aspect spirituel paraît ici évident car le renouvellement perpétuel de la vie était une constatation journalière pour les pasteurs et les agriculteurs. Sans doute la mort était-elle vue comme un mal qu’il fallait conjurer par des rites appropriés (ensevelissement, feux rituels, sacrifices d’animaux, ocre recouvrant les cadavres).

..…Il est d’usage de distinguer au Pays basque de véritables chambres dolméniques comme celle célèbre de Gaxteenea, à Mendive, et de simples coffres dolméniques bordés par de modestes dalles. La limite entre les deux peut être fixée par la taille, le dolmen faisant au moins 2 m de longueur, 1 m de largeur, 1 m de hauteur. Les dolmens basques se caractérisent par une hauteur modeste (1,30m-1,40m) généralement. Il semble qu’ils soient plus anciens que les coffres dolméniques. Ils sont aussi plus isolés. Les véritables dolmens sont montagnards ou semi-montagnards disposés entre 200 et 700 m d’altitude. Gaxteenia est à 442 m d’altitude, Xuberraxain-Harria à 580 m, Armiaga à 672 m, Buluntza à 672 m, soit à une altitude bénéficiant sans doute d’une relative densité de population. Seuls, Iropile et Artxilondo (respectivement 988 et 990 m) sont à des altitudes plus élevées, probablement sur des sites parcourus uniquement à la belle saison par une population plus clairsemée. Ils occupent surtout des replats ou des croupes (Gaxteenia, Xuberraxain-Harria), plus rarement des cols ou des crêtes (Buluntza, Armiaga) et encore plus rarement des fonds de dépression. Ils sont généralement isolés, situés à proximité des pistes pastorales, bénéficiant souvent d’une vue grandiose. Les dolmens pourraient être aussi la marque territoriale d’un groupe. Enfin, les dolmens sont relativement concentrés dans la vallée de l’Hergaray (Buluntza à Ahaxe, Armiaga à Behorleguy, Arxilondo et Petilarre à Lecumberry, Gaxteenia et Xuberaxain à Mendive), plus disséminés ailleurs (Esterençuby, Irouléguy, vallée des Aldudes, Bidarray). Au total, la Basse-Navarre abriterait 16 dolmens sur son territoire sur les 39 que compte le Pays basque français (21 en Labourd dont la plupart sont des coffres dolméniques en mauvais état, 2 en Soule seulement). En Navarre, les dolmens sont généralement petits et simples, mais beaucoup plus nombreux. L’acidité des sols, le saccage récurrent de ces monuments et la destruction du mobilier (dépôts de silex, de céramiques et autres ornements) empêchent aujourd’hui de pouvoir donner des précisions sur la chronologie.

..…Parmi les dolmens les plus remarquables, retenons celui de Buluntza qui a une hauteur de 1,40 m, la table (en poudingue), brisée aujourd’hui, faisait 6 m de longueur pour une épaisseur de 90 cm et une largeur de 3 m. Les dalles sont en grès. Celui d’Artxuita (Irouleguy), situé 600 m à peine de celui d’Arrondo, est inscrit comme ce dernier aux Monuments historiques. Artxuita repose sur un tumulus très érodé. Sa hauteur maximale est de 0,90 m. Les dalles sont aussi en grès. Les autres dalles visibles sur le sol à proximité de la chambre pourraient en constituer les éléments de couverture initiaux. Enfin, celui de Gaxteenia, en parfait état, classé depuis 1952, occupe une position dominante sur une colline dont le tumulus a été complètement arasé pour de ne pas gêner l’activité agricole. Les dalles sont en grès blanc quartzeux d’origine locale. Il est de forme légèrement trapézoïdale, plus large au chevet qu’à l’entrée. L’ensemble mesure environ 3 m de long sur 1,40 m de large. La table de couverture et la dalle de chevet sont en grès rouge, ce qui implique qu’elles ont été rapportées d’ailleurs, de la montagne d’Armiaga ou de celle d’Urtxurri. Il daterait de 1 500 à 2000 ans.

Dolmen de Buluntza, Ahaxe (Photo Pierre-Louis Etchegoin)


Dolmen d’Artxuita, Irouleguy (Photo Pierre-Louis Etchegoin)

Dolmen de Gaxteenia (Photo Pablo Marticorena)

..…Ces dolmens montagnards nombreux prouvent la fréquentation régulière des alpages. Ils n’appartiennent pas à une civilisation pyrénéenne, mais atlantique liée au golfe de Gascogne (ou de Biscaye). L’influence bretonne et portugaise sera particulièrement nette plus tard à l’époque des vases campaniformes.

…..Parallèlement, les Hommes continuent d’ensevelir dans des grottes sépulcrales ou dans des abris. Ces petites sépultures sont collectives et couvrent une période s’étendant du Néolithique aux premiers siècles de notre ère probablement, soit bien plus longtemps que les dolmens. Que ce soit dans ces derniers ou dans les grottes sépulcrales, les cadavres n’étaient parfois que déposés sur le sol. Ils sont éventuellement recouverts d’ocre rouge.

Les Hommes du Néolithique

…..Il existe enfin pour cette période des vestiges osseux parlants. Ces ossements allaient amener Telesforo Aranzadi (1860-1945) à déterminer un type basque qu’il dénommera Type pyrénéen occidental (TPO), parce qu’il se retrouve jusqu’au val d’Aran, au pied des sources de la Garonne, et même jusqu’à Burgos. De part et d’autre de la chaîne pyrénéenne, entre Ebre et Garonne, se serait développée une « extraordinaire civilisation franco-cantabrique qui fut une civilisation basque » (Eugène Goyheneche, le Pays Basque, 1979). Pierre Narbaitz (le Matin Basque, 1975) revendiqua aussi une unité pyrénéenne. Ce concept fut avivé par la découverte de crânes humains datés faussement de la fin du Paléolithique et du Mésolithique sur le site d’Urtiaga (Deba) par T. Aranzadi et l’abbé Barandiaran. Ce dernier y voyait en 1947 «une race basque […] formée ici même, dans les Pyrénées occidentales, par évolution autochtone à partir de l’Homme de Cro-Magnon». Ce dernier point ne fit pas l’unanimité, il ne fut repris que par le préhistorien catalan Pere Bosch Gimpera (1891-1974). Raymond Riquet (1914-1983) notaient que les crânes d’Urtiaga avaient de fortes affinités seulement avec les Néolithiques basques et qu’il n’y avait plus lieu d’accréditer que les Basques descendent des hommes de Cro-Magnon, même si ces derniers ont pu laissé de la descendance ici et là. Deux sous-types de méditerranéens (dits graciles et robustes d’origine alpine et proche-orientale) se seraient établis dans l’aire basque au Néolithique en plus grand nombre sur le versant sud, près de l’Ebre.

..…Concrètement, les Néolithiques basques avaient le crâne le plus allongé de la région atlantique. Il y aurait donc chez eux une originalité physique qu’il ne faut cependant pas exagérer. Ceux du Bassin parisien ou des régions rhénanes sont plus typés encore. La taille de ces Basques (1,63 m) est 15 cm en dessous des Hommes de Cro-Magnon. Ces caractères crâniens basques ne définissent pas une race (une notion qui n’existe pas), mais une particularité liée à l’isolement génétique, un peu comme chez les Juifs ou les Tsiganes qui se sont peu métissés avec d’autres populations. Comme eux, les Basques qui ne se connaissent pas se reconnaissent souvent entre eux grâce à leur profil parfois atypique.

La naissance de la métallurgie

..…La métallurgie apparaît vers -2 500. Une tournant se met alors en place progressivement avec la fonte des minerais par le feu qui entraînera une véritable organisation sociale avec des forges, des forgerons, des prospecteurs, des mineurs, des techniciens, des marchands et une seconde économie d’échanges après celles des agriculteurs et des bergers.

..…La «révolution» métallurgique débute avec l’Age dit du cuivre (-2 500/- 1800 environ). Elle ne touche encore que le mobilier funéraire d’apparat des dolmens de Sabulo, en Navarre, par exemple. C’est à cette époque aussi que se généralise la céramique appelée campaniforme (de la forme en cloche renversée des ustensiles en terre cuite). En Pays de Mixe, le cuivre servit à fabriquer de rares objets, en particulier des haches, des flèches. L’Age du cuivre (appelé aussi Chalcolithique, époque où la pierre « lithos » cohabitait avec le cuivre « chalcos ») a affecté très superficiellement notre région.

Vase campaniforme (Coll. Ikuska)

Pour aller plus loin :

  • Jacques Blot, Bilan de vingt années de recherches préhistoriques en Pays basque de France, Hommage au Musée basque, 1989, pp. 22-30.

  • Eric Dupré-Moretti, Filipe Lesgourgues, « Réflexions générales sur la période néolithique dite Âge de la Pierre Polie, sa réalité en Pays Basque », Ikuska n° 10, 1995, p. 22-39.

  • Michel Duvert, Des origines du Peuple basque, Elkar, 2005, p. 31.

  • Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, p 31-34.

  • Pablo Marticorena, Les premiers paysans de l’Ouest des Pyrénées, Université populaire du Pays basque, 2014.

  • Christian Normand, «L’enracinement humain», Le Pays de Mixe, Ed. Izpegi, 1992, pp. 52-53.

  • Raymond Riquet, Anthropologie aquitano-vasconne, Bulletin du Musée basque, n° 92, 2ème trimestre 1981.