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Histoire

Histoire de la Basse-Navarre

par Pascal Goñi

Chapitre 12 : QUAND LES VASCONS N’AVAIENT PAS DE ROIS
(VI-VIII siècles)

LA LÉGENDE NOIRE DES BASQUES

Les sources franques ou wisigothiques (chroniques, annales, histoires, correspondances, recueils de poésie, vie de saints) utilisent les termes Wasconia, Vasconia ou Vascones pour désigner les Basques.

Ces documents utilisent un canevas établi sur un modèle littéraire et un archétype. L’origine remonte à Valère-Maxime (Ier siècle de notre ère) qui dénonça le caractère impie des défenseurs de Calahorra, relayé par Ausone qui traitait de «gens barbara» les habitants du saltus vasconum ou Prudence qui dénonçait leur brutalité sanguinaire. Le pire sera atteint sans doute par l’évêque de Saragosse, Tajon, qui écrira une description qui vaut le détour: «Les Vascons cruels, sortant des montagnes des Pyrénées, s’enrichissent en s’emparant de la terre d’Ibérie et en commettant bien des dévastations… Le sang de beaucoup de chrétiens innocents est versé, certains ont la tête tranchée, d’autres sont blessés à coups d’épée et bien d’autres avec des flèches. Ils emmènent beaucoup de prisonniers, s’emparant de tout. Ils poursuivent une guerre impie à l’intérieur des églises, détruisent les autels sacrés, tuent les prêtres et laissent les cadavres des morts sans inhumation, donnés en pâture aux vautours

Pour Mathieu Pelat, les Francs semblent avoir «vasconisés» des révoltes nobiliaires répétitives dans une marche militaire qu’ils contrôlaient mal. Les Aquitains sont fréquemment qualifiés de Vascons. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit là de décrédibiliser des adversaires renvoyés dans la barbarie.

LE TERRITOIRE VASCON

Des frontières fluctuantes

La Vasconie n’occupe pas les frontières de la Novempopulanie puisque son territoire occupe les deux versants de la chaîne pyrénéenne occidentale. Bien plus tard, Arnaud Oihenart (1592-1668) écrira d’ailleurs une Notitia Utriusque Vasconiae («Notice sur les deux Vasconies»). Déjà au VIIème siècle, le Cosmographe de Ravenne (un auteur anonyme) distinguait la patrie des Vascons d’Espagne et celle des Vascons appelés jadis Aquitaine.

Cela dit, les sources ne mentionnent aucune limite précise. Cela peut s’expliquer par la succession de victoires ou de défaites qu’a connu ce peuple. Vers la fin du VIème siècle, l’axe Aire-sur-Adour/Lescar semble délimiter la frontière. Mais dans la seconde moitié du VIIIème siècle, les Vascons semblent avoir atteint la Garonne si l’on en croit les Continuateurs de Frédégaire.

Le mythe de l’expansion des Vascons

Grégoire de Tours prétend qu’en 587 les Vascons «descendent de leurs montagnes vers la plaine». Oihenart va dans le même sens en mettant en titre de chapitre dans sa célèbre Notitia, «De la région de Novempopulanie occupée par les Vascons». Certains historiens (Jean de Jaurgain, Renée Mussot-Goulard) l’ont interprété dans le sens d’une émigration ou d’une invasion. Ce fait peut être généralisé d’ailleurs sur l’autre versant de la montagne.


Une somme à connaître: la «Vasconie» de Jean de Jaurgain.

On peut en conclure sur une dynamique offensive de jaillissement des flancs de la montagne (leur refuge), voire de leurs «ravins». C’est l’opinion notamment de Bartolomé Bennassar (1929-2018) dans son «Histoire des Espagnols». Pourtant, la présence de Basques dans le Sud-Ouest français est probablement antérieur à l’année 587. Et rien ne dit qu’ensuite les Basques n’ont pas reflué vers leurs montagnes après des revers militaires. L’absence totale de précisions (nombre d’envahisseurs, villes détruites, fleuves traversés) semble rattacher la célèbre phrase de Grégoire à une sorte de générique d’un style littéraire dont nous avons parlé plus haut.

On ne peut qu’être étonné de l’incroyable résistance des Vascons face aux peuples germaniques par rapport à l’époque romaine par exemple. Y a t-il une explication démographique? Les Basques furent-ils plus nombreux qu’à l’époque romaine? Ils sont en effet capables de défendre leur pays et d’attaquer parallèlement en Languedoc. Certes, ils jouent de l’hostilité que se vouent leurs deux puissants voisins, alors qu’il n’y avait que la puissance romaine dans l’Antiquité. La différence de comportement a peut-être une explication sociale. Les Basques semblent s’agiter à partir de l’époque des Bagaudes, qui étaient peut-être des bandes faméliques pour qui la guerre était une nécessité pour survivre. Entre les différentes attaques, il peut y avoir un laps de temps assez long. Il est possible que les violences subies étaient ruminées bien après qu’elles aient été perpétrées: le désir de vengeance était entretenu, la mémoire très longue, entretenue de générations en générations jusqu’à qu’un chef charismatique émerge (les premiers noms n’apparaissent qu’au IXème siècle dans nos sources) ou que l’occasion favorable se présente. Les exactions des Hérules et des Wisigoths d’Euric dans la vallée de l’Ebre au Vème finirent par réduire les espaces cultivables. Les éleveurs s’emparèrent alors par la force de denrées qu’ils ne pouvaient plus acheter. Ceci explique peut-être l’animosité entre le monde des villes régulièrement pillé et les Basques. Comme les Romains, les Wisigoths cherchèrent à intégrer les Vascons en créant des villes bénéficiant de terres fertiles avec probablement des résultats contrastés.

Les Germains concédaient aussi beaucoup moins d’autonomie que les Romains. Cette différence peut expliquer pourquoi les Vascons sont devenus soudainement un peuple irréductible. L’Aquitaine d’après 768 ne sera plus une entité admettant l’autonomie de ce peuple, elle fut au contraire un moyen d’asservissement et réussit progressivement à venir à bout des Basques du Nord.

La pression militaire wisigothique a pu aussi les faire pousser vers le Nord. Le surgissement, au VIe siècle, des «féroces Vascons», peut être interprété comme l’expansionnisme de la société traditionnelle longtemps confinée dans son saltus. De ce pauvre milieu rural ne pouvait en aucune manière surgir un peuple de conquérants capables d’asseoir leur domination sur de vastes espaces de la Novempopulanie. Les campagnes incessantes et destructrices des rois wisigoths sont à l’origine probablement d’une grave crise sociale et démographique (surpopulation) qui a entraîné des migrations vers le nord du piémont pyrénéen.

Le terme de Gascogne (Wasconia) apparaît vers 626 (le Cosmographe de Ravenne, puis ensuite le Continuateur de Frédégaire) et le terme se généralisa au VIIIème siècle faisant oublier l’antique Novempopulanie. Les Basques du Nord des Pyrénées ont simplement été innommés jusqu’ici par manque d’intérêt ethnologique, il ne s’agit pas en tout cas de Vascons venus du côté de l’Ebre. On ne peut en dire plus car l’histoire du peuplement et de l’occupation du sol basques n’est pas encore étudiée par les linguistes et les archéologues.

ASPECTS DE LA SOCIETE VASCONNE

La cavalerie vasconne

Frédégaire apporte des précisions sur la manière de combattre des Vascons quand il écrit «ayant commencé à combattre, ils tournèrent le dos comme ils avaient coutume de le faire». Il utilise la tournure latine «terga vertentes», une technique militaire déjà notée chez les «equites hispani» qui participèrent à la bataille de Sos (-56), sans doute des troupes ayant combattu auparavant auprès de Sertorius ou de Pompée. C’était des cavaliers légers maniant la lance ou l’arc capables de semer l’effroi auprès de leurs ennemis. Le javelot était leur arme préférée qu’ils maniaient avec adresse. La légèreté de leur monture et de leur équipement leur permettait d’utiliser au mieux la topographie tourmentée de leur pays. L’ennemi était épié étroitement et constamment. On imagine une surveillance étroite des allers et venues de troupes exercées au niveau des castra, l’élaboration d’attaques surprises dans des reliefs boisés et escarpés comme ce fut le cas à Roncevaux. Les Vascons n’avaient pas par contre les moyens militaires de faire face à un retour de l’ennemi.

Eginhard écrit à ce sujet: «Comme son armée [de Charlemagne] était étirée en longues files, ainsi que l’exigeait l’étroitesse du passage, les Basques, placés en embuscade, car les bois épais qui abondent en cet endroit sont favorables aux embuscades, dévalèrent les flancs des montagnes et jetèrent dans le ravin les convois de l’arrière ainsi que les troupes qui couvraient le gros de l’armée; puis, après avoir engagé la bataille, ils les massacrèrent jusqu’au dernier homme, firent main basse sur les bagages et finalement se dispersèrent avec une extrême rapidité à la faveur de la nuit qui tombait. Les Vascons avaient pour eux, en cette circonstance, la légèreté de leur équipement et la configuration du terrain, tandis que les Francs étaient desservis par la lourdeur de leurs armes et leur position en contre-bas. […] Et cette défaite ne put être vengée sur-le-champ parce que les ennemis, le coup fait, se dispersèrent ne laissant aucune trace pour pouvoir les rechercher».


Dessin Gwendal Lemercier © Ils ont fait l’Histoire 3, Charlemagne.

Une technique qui inspirera par la suite bien des guérillas et des résistants. Les Basques n’avaient ni casque, ni cuirasse et marchaient avec des sandales en cuir qui laissaient le talon à découvert. Leurs techniques de combat étaient très éprouvées et la lutte devait être très brève.

L’alliance entre les Vascons et l’aristocratie aquitaine

A n’en pas douter, les ducs d’Aquitaine surent profiter de la supériorité de la cavalerie vasconne. Cette alliance est dénoncée par les auteurs francs, en particulier les Continuateurs de Frédégaire au VIIIème siècle. Ces princes pouvaient s’appuyer sur des fortifications établies en nombre entre l’Adour et la Garonne. Après 768, vaincus, les Vascons se rallièrent aux Francs. La réputation de ces combattants étaient telle que le fils de Charlemagne, le futur empereur Louis le Pieux, alors roi d’Aquitaine depuis 781, s’habillait à la mode vasconne, le fer de lance de son armée. Le chroniqueur anonyme, l’Astronome, biographe de son roi, fait une description assez précise et précieuse pour nous: «Louis […] vint à la rencontre de son père à Paderborn, accompagné des enfants de son âge, revêtu de l’habit des Vascons, le manteau court et ample, les manches de chemise dégagés, le pantalon flottant, les éperons attachés aux bottes, tenant à la main une lance, pour répondre avant tout au plaisir et à la volonté de son père».

Structures sociales

Les diverses sources à notre disposition dévoilent une société aristocratique fortement hiérarchisée. La délégation qui vint implorer le pardon de Dagobert était composée d’anciens détenant probablement une forte autorité. Le terme utilisé pour les désigner «senior» semble être une référence à des chefs guerriers dirigeant des clans et de larges parentèles. C’est une société d’hommes libres réunis par des liens de solidarité fondés sur un serment (sacramentum). Ces éléments ont pu être empruntés aussi bien aux Romains qu’aux Germains car les Vascons avaient servi autrefois dans l’armée romaine et ont longtemps côtoyé les peuples germaniques.

L’organisation sociale devait être simple, sans structure unifiée (pas de roi) fonctionnant uniquement avec ces familles élargies. Ce ne devait pas être une économie esclavagiste qui semble incompatible avec une production pastorale. Ils durent donc vendre leurs prisonniers en Espagne et dans le Nord de l’Europe, sociétés plus esclavagistes.

L’historiographie traditionnelle a longtemps décrit cette société comme pastorale, archaïque, de type clanique, réfractaire à la romanisation, ignorant la famille conjugale comme la propriété privée. Juan José Larrea apporte une contestation radicale de ce schéma au moyen d’une remise à plat complète des sources. L’archéologie atteste que la Vasconie antique a connu un processus de romanisation à peu près comparable à celui des pays voisins, et seule la permanence de la langue basque donne à notre région un faciès particulier.

La religion des Vascons

Le texte de Tajon, cité plus haut, semble indiquer que les Vascons n’étaient pas chrétiens. Mais cela ne constitue pas une preuve formelle de paganisme. En effet, ces massacres se situent lors d’une attaque vasconne, très meurtrière pour les Wisigoths, en 653 contre le roi Receswinth. Des prêtres furent peut-être tués, mais la loi des Wisigoths exigeait que ceux-ci combattent. Les églises, en ce temps-là, ressemblaient plus à des forteresses qu’à une humble chapelle. Les historiens ont aussi remarqué que le style apocalyptique de Tajon s’inspire beaucoup du Psaume 78 au sujet de la destruction de Jérusalem: «Seigneur, l’ennemi est entré dans ta maison et a détruit Jérusalem. Les cadavres de tes hommes servent de pâture aux vautours et aux bêtes».

Ceci dit, l’échec de St Amand semble démontrer que les Vascons restaient majoritairement païens. Ainsi, peut-on lire dans la Vie de St Amand: «Presque tous les Vascons sont sous l’emprise de grossières croyances. Ils consultent leurs devins, adorent les idôles à la place de Dieu». Certains spécialistes ont cependant mis en doute la valeur de ce texte rédigé par le secrétaire Baudemont. Le style semble plutôt caractériser le VIIIème siècle et par conséquent ce lettré n’a peut-être pas connu l’époque qu’il relate. Il a pu cependant recueillir une tradition orale plus ou moins déformée.

Si les villes de l’ancienne Novempopulanie sont presque toutes dotées d’un évêché, les campagnes devaient être hermétiques au christianisme, du moins certaines car l’évêque d’Eauze fut condamné par le duc Ayghinane en 626 pour complicité avec les Vascons, une complicité étonnante entre un prélat et de farouches païens qu’aiment dénoncer les auteurs francs et wisigoths. Par contre, l’absence de l’évêque de Dax au concile de Mâcon, en 585, semble indiquer pour cette époque une hostilité des Vascons vis-à-vis de l’Eglise. En un demi-siècle, un timide rapprochement a pu s’opérer entre eux.

Le paganisme des Vascons de la montagne explique aussi peut-être l’acharnement des Wisigoths au VIIème siècle après leur conversion au catholicisme. Les Basques se montrèrent volontiers anticléricaux, c’est du moins ce que prétend Pépin le Bref pour annexer l’Aquitaine.

Enfin, on ne peut pas exclure des retours ponctuels du paganisme comme sous le Bas-Empire par exemple.

Pour aller plus loin:

  • Manex Goyhenetche, Histoire générale du Pays basque, tome 1, Elkar, 1998, pp. 144-158.

  • Juan José Larrea, La Navarre du IVe au XIIe siècle: peuplement et société, Paris, 1998.

  • Renée Mussot-Goulard, «Wascones in plana descendunt… Civitas Lapurdum…», Lapurdum II, 1997, pp 257-282.

  • Pierre Narbaits, Le Matin basque, Guénégaud, 1975, pp. 221-248.

  • Mathieu Pelat, «Les identités ethniques en Novempopulanie, Wasconie et Aquitaine dans l’Antiquité tardive et au haut Moyen âge (IIIe-IXe siècle)», 2016.

  • Michel Rouche, L’Aquitaine des Wisigoths aux Arabes 418-781: naissance d’une région. Paris, EHESS-Jean Touzot, 1979.

Vous pouvez découvrir ou retrouver les chapitres précédents sur le site, à la rubrique « La Basse-Navarre en Pays Basque », onglet « Histoire ».